Rien d’irréparable, rien d’irréversible, mais attention ! Un fossé se creuse dans l’Union entre ses deux principales puissances d’un côté, la France et l’Allemagne, et de l’autre l’ensemble des Etats sortis du bloc soviétique ou de l’URSS elle-même. Avant que cela ne s’aggrave et que Vladimir Poutine ne puisse se croire en situation d’en profiter, il faut donc lever les malentendus et c’est à la France de le faire car c’est elle qui suscite le plus de craintes en Europe centrale et orientale.

A l’Allemagne, les anciens pays communistes reprochent sa réticence à livrer des armes lourdes à l’Ukraine et son refus de renoncer sans plus attendre au gaz russe. Ils la jugent égoïste et couarde mais lui font d’autant moins de critiques de fond qu’ils considèrent que le chancelier et ses amis sociaux-démocrates finiront par évoluer sous la pression de l’opposition démocrate-chrétienne et des deux autres partis de la coalition gouvernementale, les Libéraux et les Verts.

A la France, les anciens pays communistes reprochent en revanche de renouer avec une russophilie historique qui la conduirait à vouloir éviter une franche défaite à Vladimir Poutine en lui cherchant une « porte de sortie ». Contrairement aux Allemands qui ne voudraient que défendre leur confort et leurs sous, nous Français serions enclins, en un mot, à ménager la Russie en faisant bon marché des menaces qu’elle fait peser sur les pays que la chute du mur a soustraits à son contrôle.

Aussi caricaturaux et mensongers qu’ils soient, ces reproches sont trop véhémentement et fréquemment exprimés pour que la France continue de les ignorer. Emmanuel Macron doit y répondre. Il doit le faire au plus vite en mettant court au mauvais procès qui lui est fait depuis qu’il a proposé de réunir dans une « Communauté politique européenne » les pays candidats à l’Union mais ne pouvant pas encore s’y intégrer en raison de leur niveau de développement économique et politique.

Formulée le 9 mai dernier au Parlement de Strasbourg, cette idée avait aussitôt été vue comme une manière de fermer la porte à une entrée de l’Ukraine dans l’Union ou de lui refuser en tout cas le statut de pays candidat qu’elle voudrait obtenir avant l’été. Ce qu’Emmanuel Macron avait dit était au contraire qu’aucun pays ne devait plus rester suspendu dans un long vide politique entre l’obtention de son statut de pays candidat et sa réelle entrée dans l’Union.

C’est pour combler ce vide en resserrant et multipliant les liens entre l’Union et les pays candidats qu’il avait donc suggéré la création de cette nouvelle structure. D’un coup, il tendait la main à l’Ukraine, à la Géorgie, à la Moldavie, à la Serbie et au pays des Balkans occidentaux mais, depuis un quart de siècle, la France a si constamment préféré approfondir l’unité européenne plutôt que d’élargir ses rangs que le président de la République n’a pas été compris.

Il l’a même été si mal qu’il a tenté une mise au point en déclarant jeudi, devant la présidente moldave, que sa proposition de Communauté politique n’était aucunement une alternative à l’Union. C’était clairement affirmé mais ce fut vain car le soupçon reste que la France veut tenir l’Ukraine à distance de l’Union dans l’espoir de plus facilement parvenir à un compromis avec Vladimir Poutine. Volodymyr Zelensky vient en conséquence de dire qu’il rejetait cette idée de Communauté et le président de la République doit donc aller plus loin qu’une simple clarification.

Il devrait dire que l’essentiel est à ses yeux d’inscrire les pays candidats dans le sillage de l’Union en les associant, chaque fois qu’ils le voudront et le pourront, aux initiatives et aux politiques de l’Union, que c’est ce seul souci qui l’animait le 9 mai et que le reste n’est qu’une question de moyens.

La Communauté politique peut en être un mais l’Union pourrait tout aussi bien se réorganiser de fond en comble afin de pouvoir très vite accueillir en sein tous les pays dont elle aurait accepté la candidature. Cela impliquerait d’en revenir aux cercles concentriques de Jacques Delors et de faire de l’Union une fusée à trois étages entre lesquels, le jour venu¸ chacun des Etats membres qui le souhaiteraient pourrait passer.

Au premier étage, se trouveraient les pays simplement liés par le marché commun et le respect de l’état de droit. A deuxième, se retrouveraient tous les pays dont les législations intégreraient l’acquis communautaire, l’appartenance à la zone euro, le green deal et l’interdiction de toute forme de dumping social et fiscal. Appartiendrait enfin au troisième étage un plus petit nombre d’Etats membres, ceux qui mettraient en commun leur Défense, leur politique étrangère et leurs investissements dans les industries du futur.

Il ne s’agirait pas pour la France de plaider un choix plutôt que l’autre mais de dire qu’il faut sans attendre arrimer l’Ukraine à l’Union, que cela implique de passer un jour à quelque trente-cinq membres, que les institutions actuelles ne le permettraient pas et qu’il faut donc peser les avantages et inconvénients de toutes les innovations envisageables.

La solution des trois étages demanderait le plus d’imagination politique et d’inventivité juridique. Il faudrait notamment savoir redéfinir la place et le rôle du Parlement en le dotant de deux Chambres. La solution de la Communauté présenterait l’avantage d’être institutionnellement plus aisée mais le redoutable inconvénient de constituer les pays candidats en une entité séparée pouvant chercher à peser par eux-mêmes en s’appuyant sur les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne.

Le choix n’est pas évident mais en proposant le débat tout en se disant favorable à l’octroi du statut de pays candidat à l’Ukraine, la France éviterait à l’Union de se fissurer puis de se casser. La France reprendrait la main et plus personne ne pourrait alors lui reprocher de vouloir maintenir le contact avec le Kremlin pour promouvoir, lorsque l’agression aura été défaite, un compromis qui ne répéterait pas la tragique erreur du Traité de Versailles.

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