J’en suis à me dire que ce pari n’était peut-être pas si fou. Je le dis prudemment, sans totalement y croire car, depuis l’annonce de la dissolution, je suis passé par tous les stades. J’ai d’abord pensé et publiquement dit, à chaud, qu’il fallait en effet, oui, absolument, demander au pays si ces quelque 40% de suffrages accordés aux extrêmes-droites n’exprimaient qu’une colère ou signifiaient une vraie volonté de porter les lepénistes au pouvoir. J’étais convaincu qu’il fallait passer par ce moment de vérité car il était à mes yeux impossible que 4 Français sur 10 aient basculé à l’extrême-droite mais le lendemain, lundi matin…
Quelle gueule de bois ! Pas une chaîne de radio, pas un journal télévisé, qui ne débattît déjà des conditions dans lesquelles le Rassemblement national allait pouvoir gouverner et des raisons qui avaient bien pu pousser le président à commettre une telle folie. Je les voyais déjà, ces menteurs professionnels, ces démagogues, ces dangers publics, entrer dans les ministères et si vite annoncer qu’ils revenaient sur leurs promesses, réduisaient les aides sociales, taillaient dans le budget européen et bloquaient l’aide à l’Ukraine.
Je voyais Trump et Poutine sourire de bonheur, l’Union se détricoter au moment même où il faut la doter d’une Défense et de politiques industrielles communes et le papier que j’avais envoyé à Libé me paraissait, à la relecture, franchement absurde. Je l’avais titré « Comment ne pas devenir lepéniste ». J’exposais les trois conditions auxquelles nous pourrions éviter ce si funeste sort mais tout mon raisonnement me semblait maintenant faux puisqu’à la seule vitesse à laquelle l’impensable entrait dans les conversations je comprenais que tout était fichu. En 48 heures j’ai fait 48 allers-retours mais depuis quelques jours… comment dire ?
Prenons les faits, décrivons. Ce qu’il restait de la droite autrefois gaulliste, non pas rien mais plus grand-chose, a explosé. En des termes dont la vigueur a fait honneur à leur famille politique, à peu près tous les élus, dirigeants et grandes figures de la droite ont condamné l’accord électoral que le président de leur parti venait de conclure avec l’extrême-droite.
C’était « non, non, et non ! » et ces 99% de la droite qui n’avait pas déjà rejoint la macronie se sont ainsi retrouvés à la lisière de ce grand centre modéré, européen et toujours plus keynésien dont ils sont en fait si proches. Alors pourquoi ne pourraient-ils pas finir un jour par accepter l’idée, plaidée mercredi par Emmanuel Macron, d’une « une fédération » des sociaux-démocrates, du centre, de la droite et des écologistes ?
Il n’y aura évidemment pas d’accord entre la droite et la macronie avant les élections. Comme la gauche, la droite voudra défendre son identité dans les urnes mais, les résultats proclamés, tout pourrait bien changer, dans toutes les hypothèses. Si les lepénistes obtiennent une majorité absolue, la droite, la gauche et la macronie se retrouveront ensemble dans l’opposition à l’extrême-droite et dans un soutien, de fait au moins, à Emmanuel Macron resté président et usant contre elle de tous ses pouvoirs constitutionnels. Si les lepénistes n’obtiennent au contraire pas assez de sièges pour gouverner, la possibilité d’un rapprochement entre une large partie de la droite et le centre macroniste deviendra forte, voire très forte.
A droite, cette dissolution a déjà fait bouger bien des choses, mais à gauche ?
La dissolution a ressuscité la gauche. La répulsion que la seule perspective d’un gouvernement d’extrême-droite inspire aux socialistes, aux Insoumis de la gauche radicale, aux écologistes et aux communistes est telle qu’il ne leur a pas fallu deux jours pour se mettre d’accord sur la nécessité de se mettre d’accord. Malgré l’ampleur des divergences entre ces quatre courants, il y a une forte dynamique unitaire à gauche dont l’avantage est de mobiliser ses électeurs, tous sans exception, dans le combat contre les lepénistes.
La gauche n’en est pas à pouvoir obtenir une majorité absolue mais elle pourrait contribuer à fermer les portes du pouvoir au Rassemblement national et devrait alors choisir entre une paralysie de l’Assemblée et une forme de rapprochement avec le centre et la droite. Placée devant cette alternative, il n’est pas impossible que la gauche se divise aussi profondément que la droite vient de le faire et que ses composantes les plus modérées acceptent de soutenir certaines des initiatives du centre et de la droite ou même de les rejoindre dans un gouvernement d’union.
On ne sait pas mais, à gauche comme à droite, cette dissolution a rouvert le champ des possibles alors que l’humiliante défaite du camp présidentiel aux élections européennes était venue s’ajouter à l’impopularité d’Emmanuel Macron qui, depuis deux ans déjà, gouvernait sans majorité parlementaire. La France était condamnée à un blocage mortifère menant droit à de nouvelles progressions de l’extrême-droite mais ce coup de théâtre a renversé la table en contraignant chacun à d’immédiates et radicales évolutions. Plus que de la politique, c’est de la prestidigitation mais il n’y avait sans doute pas mieux à faire et… qui sait ?