Paru dans Libération le 8 juillet sous le titre : « Vite, un gouvernement provisoire avec la gauche, le centre et la droite »
La majorité n’est pas introuvable. La France sortie des urnes n’est pas ingouvernable. Ce n’est pas le chaos. Une majorité existe. Elle est là. Il suffit d’accepter de la voir car 174 élus des gauches unies et 156 des partis centristes qui avaient soutenu la réélection d’Emmanuel Macron cela fait combien de députés en tout ?
Cela en fait 330, soit 41 de plus que la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale. Alors non, bien sûr, ce n’est pas aussi simple que cela puisqu’une partie de la gauche, la France insoumise, refuse de gouverner avec les centristes qui eux-mêmes ne veulent pas entendre parler d’une coalition comprenant ces mêmes Insoumis sans lesquels il n’y a pas de majorité absolue.
C’est tout le problème mais Les Républicains, la droite maintenue, celle qui ne s’était pas alliée avec les lepénistes du Rassemblement national, comptent 66 élus. Avec eux, revoilà une majorité absolue et s’il manque encore quelques voix, elles peuvent être trouvées chez les moins radicaux des Insoumis, tous ceux qui sont en rupture avec le fondateur de leur parti, Jean-Luc Mélenchon et ses provocations permanentes.
Dans la plupart des capitales européennes, l’équation française semblerait facile mais à Paris, c’est la migraine car une coalition tricolore – gauche, droite et centre – ça n’entre pas dans la culture nationale. Les Français assimilent immédiatement cela à d’inavouables combines puisqu’ils ne connaissent plus depuis six décennies, depuis le général De Gaulle et la Cinquième République, que l’alternance entre droite et gauche et ont oublié qu’en France aussi, dans les années 20, 30 et 50, les gouvernements de coalition étaient la règle.
La France a besoin d’un temps d’adaptation. Il faut la laisser faire son deuil d’une droite et d’une gauche qui n’existent plus puisque la droite a éclaté entre un centre droit et une extrême-droite et que les gauches ne sont plus unies que par le refus du nationalisme et de la xénophobie. La France doit d’abord se faire à l’idée que ses frontières politiques séparent désormais un pays entré dans le XXI° siècle (les trois cinquièmes des Français) d’un autre, minoritaire mais nombreux, resté accroché à la nostalgie d’un passé mythifié. Il y a la France de l’ordre et celle du mouvement, celle des villes et celle des campagnes, celle d’un monde naissant et celle d’un monde disparaissant.
Une transition s’impose car cette France divisée ne peut pas passer en une nuit du passé au futur. Il lui faut un présent, à même de rassurer et forcément composite. Plutôt qu’un gouvernement de coalition, il lui faut un gouvernement perçu comme provisoire et qui ne soit donc là que pour un temps donné, les vingt-quatre ou trente mois nécessaires à l’accomplissement d’un nombre limité de changements clairs, essentiels et consensuels.
Le premier est l’instauration d’un mode de scrutin proportionnel permettant à toutes les forces représentant plus de 5% de l’électorat d’avoir leurs députés et de bâtir les coalitions de demain.
Le deuxième est le lancement d’un plan de lutte contre la désertification médicale et administrative des régions rurales qui se sentent aujourd’hui abandonnées par un pays urbanisé.
Le troisième est une baisse de l’imposition des classes moyennes compensée par une augmentation de la pression fiscale sur les entreprises et les particuliers les plus fortunés.
Le quatrième est la réduction du nombre des échelons administratifs locaux et régionaux qui se sont tant multipliés qu’ils se dupliquent aux prix d’une gabegie budgétaire qui ne peut pas durer.
Le cinquième est l’instauration d’examens d’entrée à l’Université visant à relever le niveau scolaire, à réduire le nombre d’étudiants échouant dans leurs études et à mieux utiliser le budget de l’Education nationale.
La gauche, le centre et la droite qui se fixeraient ces cinq priorités seraient au demeurant unies par la volonté de resserrer les rangs de l’Union européenne, d’accélérer la constitution d’une Défense commune et d’assurer à l’Ukraine les moyens de repousser l’agression russe.
Ce temps écoulé, des législatives à la proportionnelle précéderaient de peu la présidentielle de 2027 à laquelle irait une nouvelle France, apaisée et marchant vers un bipartisme opposant un parti démocrate à un parti du repli.