La priorité de Kamala Harris, estime l’eurodéputé Bernard Guetta, devrait être d’opposer un front des démocraties aux dictatures russe et chinoise en partageant avec les 27 les charges et la responsabilité de l’Alliance atlantique.
C’est désormais le plus probable. Bien des retournements peuvent se produire en deux mois mais vous devriez l’emporter car outre qu’il ne sait que dénigrer, votre adversaire perd déjà pied face au bon sens et au désir d’équité que vous incarnez avec tant de bonheur.
Vous présiderez les Etats-Unis mais vous n’aurez pas, madame, que l’immense tâche de réconcilier deux Amérique prêtes à se déchirer. Parce que plus rien, ni vrais rapports de force ni consensus minimal, n’assure au monde la moindre stabilité, il vous reviendra dans le même temps de jeter les bases d’un nouvel ordre international avant que des décennies de guerres ne s’en chargent.
Le monde est à rebâtir mais même votre pays n’y parviendrait pas seul. Nous ne serons pas trop de deux pour nous y mettre, Etats-Unis et Union européenne, vous et nous, et la première chose à faire est ainsi de pérenniser notre alliance en refondant nos relations.
Vous avez raison de dire, à Washington, que nous sommes aujourd’hui bien assez unis et riches pour financer notre Défense. Plus rien ne justifie, c’est vrai, que nos contributions à notre sécurité commune soient aussi déséquilibrées mais il est tout aussi vrai que nous ne pouvons pas augmenter nos dépenses militaires sans que cet effort ne profite, d’abord, à nos industries et à notre recherche scientifique : aux économies et à l’emploi européens.
Nos concitoyens ne pourraient accepter que ce soit à votre pays et non pas aux nôtres que leurs impôts bénéficient. Nous devrons, bien sûr, veiller à l’harmonie de nos systèmes d’armement. Nous aurons à ménager des phases de transition et à envisager des projets communs pour aller plus loin plus vite mais nous ne pouvons plus, ni vous ni nous, faire semblant d’ignorer le double refus que nous avons à surmonter. Vous ne voulez plus payer plus que votre part. Nous ne pouvons plus admettre, nous, que vous restiez seuls aux commandes – seuls à décider de ce qu’il convient de faire ou de ne pas faire tandis que l’augmentation de nos investissements favoriserait votre industrie au détriment de l’affirmation d’industries de Défense paneuropéennes.
Evolutions, délais, équilibres et compatibilités, tout est à négocier. Il y faudra du temps puisque le partage des charges ne pourra se faire sans partage des décisions et responsabilités. Nous n’y arriverons pas d’un coup et pas même en quatre ans mais vous auriez, madame, tout à gagner et à nous faire gagner à tous en posant dès maintenant vos conditions. Si vous le faisiez dès ces deux mois de campagne, vos concitoyens verraient votre détermination à défendre leurs intérêts, cela nous obligerait, nous autres Européens, à préciser nos exigences et le monde pourrait ainsi constater que, sans plus attendre, nous travaillons au resserrement de notre alliance, celle des deux plus grandes des démocraties.
Tout en serait changé aussi vite que votre entrée en scène avait redessiné cette présidentielle. Après avoir tablé sur la désunion des Etats-Unis, le délitement de notre Union et une décadence de nos civilisations, la Chine et la Russie auraient à modifier leurs prévisions en y intégrant un renouveau de l’Occident. Bien des moyennes et petites puissances en verraient moins d’attraits aux mercenaires russes et se hâteraient moins de signer les accords léonins que leur propose la Chine.
A Moscou, le doute grandirait sur les rêves de résurrection impériale et l’interrogation monterait sur les moyens de solder l’aventure ukrainienne. Confrontée à une croissance et une démographie déclinantes, la Chine de M. Xi, l’éléphant dans la pièce, devrait se demander si son intérêt serait toujours de jouer la carte Poutine maintenant que vous rapprochez, madame, les deux rives de l’Atlantique.
Ni vous ni nous n’avons pourtant d’illusions à nous faire.
Il vous faudra là une immense audace car, sans même parler de vos industriels, beaucoup de vos diplomates, de vos généraux et de vos plus fins analystes vous diront qu’il n’y a pas de temps à perdre avec une Europe qui ne sait toujours pas parler d’une seule voix. De notre côté, nous ne manquerons hélas pas de nourrir cet euroscepticisme américain en continuant à sous-estimer les progrès de notre unité alors même que Trump, la Covid et Vladimir Poutine nous ont ralliés à la nécessité d’une autonomie stratégique de l’Union et de sa Défense commune.
On vous dira, madame, que la priorité n’est pas la redéfinition de la solidarité atlantique mais l’apaisement de vos relations avec Pékin. On vous fera valoir que tout commande de parer les dangers pesant sur Taiwan et le commerce international et qu’il faut approfondir les conversations entamées à cet effet. C’est certain. Ces conversations sont à intensifier mais pourquoi la direction chinoise choisirait-elle la voie du compromis si les Etats-Unis ne sont pas à même de recréer un rapport de forces en amorçant la refondation d’un front commun avec l’Europe ?
Il vous faut surprendre vos électeurs et les cinq continents, innover, changer la donne, et ne surtout pas écouter ceux qui ne savent penser que dans le monde d’hier, qui ne voient pas la fragilité des dictatures russe et chinoise, qui s’étaient déjà résignés à une victoire de Trump et ne croient pas plus en l’audace qu’en la nécessité. C’est par un signal fort sur l’Europe qu’il vous faut commencer, madame, car c’est avec l’Union européenne que vous pourrez donner à réfléchir à Xi Jinping, imposer la coexistence de deux Etats aux Israéliens et aux Palestiniens, ébranler Vladimir Poutine et redonner force et prééminence à l’idée démocratique. Ouvrez, madame, cette nouvelle page. C’est la clé du succès car il faut au monde des raisons d’espérer.