Parce qu’elle n’admet pas qu’Emmanuel Macron ait été chercher un Premier ministre dans les rangs de la droite plutôt que dans les siens, la gauche française s’apprête à commettre une profonde erreur. Non seulement la censure qu’elle entend opposer d’emblée à Michel Barnier ne le fera pas tomber puisque la gauche n’est pas majoritaire, non seulement la gauche ne fera là que manifester un dépit qui ne la grandira pas mais elle achèvera, ce faisant, de faire de l’extrême-droite un acteur à part entière de la vie politique.
Autrement plus habiles que la gauche, les lepénistes du Rassemblement national ont en effet préféré « juger sur pièces ». Ils vont attendre de voir, expliquent-ils, si les politiques menées par le futur gouvernement Barnier répondent à leurs « exigences ». Ils vont le mettre, disent-ils, « sous surveillance » et devenir de cette manière incontournables.
Au moment qu’ils choisiront, ils pourront annoncer qu’ils veulent censurer ce gouvernement et là, la gauche se trouvera dans une situation impossible. Ou bien elle se déshonore en votant avec l’extrême-droite contre un Premier ministre de droite mais parfaitement démocrate ou bien elle sauve la mise à Michel Barnier en contredisant la censure qu’elle aura précédemment et vainement votée contre lui.
Dans les deux cas, la cohérence sera du côté du Rassemblement national et non pas de la gauche. Dans les deux cas, l’extrême-droite pourra aller à la présidentielle de 2027 en se présentant comme une force modérée qui, contrairement à la gauche, avait joué la stabilité mais qui ne pouvait plus soutenir une droite incapable, dira-t-elle, de lutter contre l’immigration et la cherté de la vie.
Avec cette pose d’enfant boudeur, la gauche marche sur la tête. Il ne faut pas qu’elle commette cette erreur. La gauche ne doit pas voter cette censure qui n’a aucun sens. La gauche doit reprendre ses esprits mais elle est, pour l’instant, tout à sa fureur car c’est à elle, scandait-elle, samedi, dans les rues, qu’il aurait dû revenir de former le gouvernement, à elle qui était arrivée en tête des législatives anticipées de cet été, et non pas à Michel Barnier, membre d’un parti, Les Républicains, dont les électeurs avaient fait le bon dernier de ce scrutin.
C’est vrai. Il y a là une « anomalie démocratique », comme disent les plus modérés, mais là où la gauche a tort, totalement tort, c’est que c’est à elle-même qu’en revient la faute, et à personne d’autre.
Alors que les électeurs avaient divisé l’Assemblée nationale en trois blocs principaux – les gauches unies du Nouveau Front populaire, puis les partis centristes sur lesquels s’appuie Emmanuel Macron et, enfin, les lepénistes du Rassemblement national – la gauche s’est comportée comme si elle disposait à elle seule d’une majorité parlementaire.
Etrangement, la gauche a confondu majorité relative et majorité absolue et ce n’est pas tout. Elle a également laissé sa composante la plus radicale, La France Insoumise, déclarer qu’elle entendait appliquer « tout son programme » alors même que ce programme commun, hâtivement adopté pour opposer un front uni à l’extrême-droite, était considéré comme complètement irréaliste par les centres et la droite qui n’en voulaient pas.
Au lieu de se chercher les alliés qui lui auraient permis de transformer l’essai en prenant la tête d’une coalition majoritaire, la gauche française s’est ainsi coupée de toutes les forces démocratiques avec lesquelles elle aurait pu composer un gouvernement d’union. Au lieu de définir les mesures prioritaires qu’elle aurait eu le mérite d’impulser, elle a perdu des semaines à accoucher d’un candidat commun au poste de Premier ministre, une parfaite inconnue, plus proche des Insoumis que de la social-démocratie et dont il était clair qu’elle ne trouverait pas de majorité à l’Assemblée nationale.
Il aurait dès lors été surprenant que le Président de la République ne la récuse pas et il importe peu de savoir s’il l’a fait par refus de son programme ou parce que Michel Barnier était plus susceptible qu’elle de réunir une majorité. Sans doute est-ce d’ailleurs pour ces deux raisons à la fois mais le fait est que c’est au chef de l’Etat et pas aux partis politiques, même arrivés en tête, que la Constitution confie le soin de nommer le chef du gouvernement.
Emmanuel Macron n’a donc commis aucun « coup de force ». Il n’est pas non plus vrai qu’il n’ait jamais voulu d’un Premier ministre de gauche. Je pourrai en témoigner le jour venu mais la situation qui s’est créée n’est évidemment pas bonne. Elle est même préoccupante et, plutôt que de brandir son inutile censure, la gauche ferait mieux de trouver un accord avec Michel Barnier sur des objectifs communs afin que ce soit elle et non pas les lepénistes qui mette le Premier ministre sous surveillance. Elle pourrait encore le faire. Elle pourrait encore retourner la situation mais à condition de cesser d’aspirer à la place de gauche la plus puérile du monde.
(Photo credit: Jeanne Menjoulet, flickr.com/photos/jmenj/)