Ce n’est plus le même Parlement et ce n’est plus, non plus, la même Union. Tout a changé et, d’abord, parce que la France et l’Allemagne, sont économiquement et politiquement essoufflées. Ce n’est bien sûr pas la première fois que l’une ou l’autre des deux premières puissances européennes est affaiblie mais jamais elles ne l’avaient été aussi profondément l’une que l’autre et, de surcroît, au même moment. Il s’en crée un vide politique à Bruxelles et la présidente de la Commission s’emploie à le combler en se faisant présidente de l’Union.
Multipliant les initiatives de politique étrangère et modelant une Commission à sa main comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait, Ursula von der Leyen paraît déterminée à précipiter l’affirmation d’une Union politique. Peut-être va-t-elle ainsi paver la route des Etats-Unis d’Europe déjà tracée par le soutien militaire et financier à l’Ukraine, la création d’un poste de Commissaire à la Défense, le premier emprunt commun des 27 et les recommandations du rapport Draghi sur le lancement de politiques industrielles communes. Peut-être cette accélération suscitera-t-elle, au contraire, une telle réaction de rejet des opinions européennes et des dirigeants nationaux que l’unité des 27 en reculera pour longtemps.
Difficile à dire car cela dépendra beaucoup du résultat des élections américaines, de la capacité de Vladimir Poutine à ne pas perdre la face en Ukraine, de l’évolution des tensions proche-orientales et de la manière dont Xi Jinping saura ou non surmonter les difficultés économiques et sociales de la Chine. Tout est incertain et cela d’autant plus que la progression des extrêmes-droites a encore plus changé les choses au Parlement qu’à la Commission.
Lors du mandat précédent, les centristes du groupe Renew étaient les troisièmes à prendre la parole puisqu’ils constituaient, numériquement parlant, le troisième groupe politique après la droite et la gauche. Les centristes esquissaient le compromis à venir entre gauche et droite, les adultes s’étaient exprimés et la messe était dite mais là…
Comme hier, la parole est d’abord à la droite puis à la gauche, au Parti populaire et aux Sociaux-Démocrates, mais Renew ne passe plus qu’en cinquième position, après les Patriotes pour l’Europe et les Conservateurs et réformateurs européens. Les Patriotes (sigle anglais et si follement américain : « P4E ») ont pour épine dorsale les amis de Mme Le Pen et de M. Orban. Les CRE, plus communément dits l’ECR en franglais bruxellois, ont pour chefs de file les Fratelli d’Italia de Mme Meloni et Droit et Justice, le parti polonais aujourd’hui renvoyé dans l’opposition.
L’ECR étant souvent proche du PPE et les Patriotes faisant tout pour se rapprocher de l’un et de l’autre, une position commune de ces trois courants de droite s’esquisse toujours plus fréquemment avant même que le centre n’ait la parole. Avant même que Renew ne s’exprime, les sociaux-démocrates sont marginalisés et les jeux sont faits alors que la majorité parlementaire, celle qui a reconduit Mme von der Leyen à la tête de la Commission, regroupe le PPE, les sociaux-démocrates, Renew et les Verts, « l’arc républicain », dirait-on en France.
Une réunion après l’autre, il apparait toujours plus clairement que le Parti populaire souhaite faire comprendre au centre, à la gauche et aux Verts, qu’il a d’autres alliés qu’eux et qu’il peut donc choisir, au cas par cas, sur qui s’appuyer. Ce n’est pas un renversement de majorité puisque le PPE ne pourrait pas formellement s’allier aux Patriotes ni même trop se rapprocher de l’ECR sans aller à l’éclatement et que les liens des lepénistes et de Viktor Orban avec le Kremlin horrifient tout autant la droite que l’ECR.
Entre la droite, la gauche et le centre, les convergences restent plus profondes qu’entre les droites elles-mêmes mais outre que les lepénistes ne cessent d’arrondir leurs angles, le point d’équilibre n’est plus celui d’hier. Il ne l’est déjà plus au Parlement et pourrait bientôt ne plus l’être non plus à la Commission où Ursula von der Leyen a fait du Commissaire nommé par Georgia Meloni l’un de ses cinq vice-présidents exécutifs. Comme le PPE dont elle est membre, la présidente de la Commission a désormais plusieurs fers au feu.
(Photo: CC-BY-4.0: © European Union 2021 – Source: EP)