Dans la première hypothèse, tout est tragiquement clair. Si Donald Trump est élu le 5 novembre, il n’attendra pas même sa prise de fonction pour sceller avec Vladimir Poutine un partage de l’Ukraine sur le modèle des deux Allemagne ou des deux Corée.
De facto si ce n’est de jure, les territoires occupés par les troupes russes reviendraient au Kremlin qui s’engagerait en échange à ne pas chercher à progresser au-delà de cette ligne de démarcation. Ce serait la défaite de l’Ukraine et la victoire de Vladimir Poutine mais un débat aussi fondamental que furieux s’ouvrirait aussitôt.
L’Ukraine amputée devrait-elle ou non entrer dans l’Otan ?
En admettant que l’accord conclu entre le président russe et son ami Donald ne lui en ait pas fermé les portes, l’Ukraine y aspirerait plus que jamais. Les Européens auraient, eux, un intérêt vital à ce qu’elle devienne le trente-troisième membre de l’Alliance atlantique et bénéficie par-là d’une protection qu’ils ne peuvent aujourd’hui pas lui offrir seuls. Pour l’Ukraine comme pour l’Union, cet élargissement de l’Otan serait le seul vrai moyen d’empêcher Vladimir Poutine de renouer avec la reconstitution de l’empire russe en reprenant bientôt la route de Kiev. En un mot, c’est sans attendre les résultats du 5 novembre que les Européens devraient se préparer à devoir mener cette bataille mais en sachant deux choses.
L’une est que Donald Trump ne se laisserait pas aisément convaincre de ne pas s’opposer à ce que l’Ukraine vienne élargir une Otan à laquelle il ne voit plus d’utilité. L’autres est que la tâche des Européens ne pourrait pas se limiter à essayer de resserrer les rangs occidentaux sous parapluie américain alors que ce président serait si décidé à précipiter le recentrage des États-Unis sur le défi chinois qu’il pourrait être tenté de tourner la page de l’Alliance atlantique.
Sous une nouvelle présidence Trump, les Européens auraient à apprendre à exister seuls, à considérablement accélérer la création de leur Défense commune et à définir de nouveaux modes et degrés d’intégration à leur Union afin d’ouvrir au plus vite leurs portes à l’Ukraine pour pouvoir faire front avec elle aussi rapidement que possible. Il s’agirait à la fois de signifier à la Russie que c’est à toute l’Union qu’elle s’attaquerait en se réattaquant à l’Ukraine et de s’appuyer sur la Défense ukrainienne pour réduire la durée de construction d’une Défense commune. Dans l’hypothèse Trump, l’objectif des Européens devrait être, sans délais, l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne et, si possible, à l’Alliance atlantique mais dans l’hypothèse Harris ?
Dans cette seconde hypothèse, tout serait à la fois plus rassurant et plus compliqué.
Il n’y aurait pas à craindre que la nouvelle Administration américaine ne s’entende avec le Kremlin sur le dos de l’Ukraine et de l’Europe entière. Il ne serait pas non plus envisageable que les États-Unis s’acharnent soudain à décrédibiliser l’Alliance atlantique ou veuillent en sortir du jour au lendemain. Avec Kamala Harris, l’Union européenne ne serait pas confrontée au défi d’avoir à se réinventer en quelques mois mais les différences entre une présidence Harris et une présidence Trump seraient-elles, sur le fond, aussi déterminantes qu’il y paraît ?
Contrairement à Donald Trump, Kamala Harris n’a certes pas d’admiration pour Vladimir Poutine. Contrairement à lui, elle ne voit pas non plus dans l’Union européenne une rivale que l’Amérique devrait défaire mais elle est Californienne et était encore bien jeune lorsque le mur de Berlin est tombé. Pour elle comme pour Trump, ce n’est pas vers l’Europe mais vers l’Asie que les États-Unis doivent tourner leurs regards et tout dit qu’elle souhaiterait rapidement amener les Ukrainiens à un compromis avec la Russie qui pourrait être très semblable à celui qu’envisage son adversaire républicain.
Or si les formes sont assez respectées pour que l’Europe n’en semble pas trahie, plusieurs des capitales européennes approuveront cette démarche. À droite, à gauche et aux centres, une large partie des 27 opinions publiques l’applaudiraient aussi et dans le soulagement qu’apporterait cette illusion de détente, il serait aussi difficile de plaider l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique que son entrée dans l’Union.
Autant l’élection de Trump pourrait contraindre l’Union européenne à prendre ses responsabilités politiques, autant celle de Kamala Harris conduirait les 27 à de profondes divergences et à nouvelles et dangereuses procrastinations.
Plutôt qu’à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, les Européens auraient alors à œuvrer à ce qu’elle obtienne des garanties de sécurité occidentales. Cela leur serait moins difficile et plutôt que de tenter d’immédiatement élargir l’Union à ce qui serait devenu « l’Ukraine de l’Ouest », il leur faudrait multiplier avec elle les accords de coopération civils et militaires afin de renforcer leur frontière avec la Russie et de paver la route d’une intégration future.
Harris ou Trump, le 5 novembre mettra l’Union européenne à l’épreuve.
(Photo by Andrii Smuryhin)