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Les raisons n’en sont pas spécifiquement américaines puisqu’il y a bien d’autres Trump de par le monde. L’explication ne tient pas non plus au trop tardif retrait de Joe Biden puisqu’il y avait des mois déjà que Donald Trump s’était rallié une moitié des Américains.
Alors ?
Comment comprendre que les Etats-Unis aient donné une si solide majorité à un invraisemblable menteur, mégalomane, grossier et pouvant pousser la vulgarité jusqu’à mimer de ses lèvres une fellation en tenant un micro à pleines mains devant une foule d’admirateurs hilares ? Comment admettre que le sort de l’Ukraine, de sa population et de ses héros dépende désormais d’un homme qui admire autant Vladimir Poutine qu’il déteste les Européens ?
La réponse tient en un mot : la peur.
Cette peur qui s’est emparé des cinq continents depuis le début de ce siècle, les Américains la ressentent encore plus profondément que le reste du monde car ils s’étaient habitués à être les plus riches, les plus forts, les plus industrialisés et les mieux armés. Protégés des chaos extérieurs par deux océans, ils n’avaient jamais été agressés en leur cœur mais ont découvert l’insécurité le 11 septembre 2001 lorsque le terrorisme a porté la guerre jusqu’à Manhattan.
« Pourquoi nous haïssent-ils ? », s’était demandé un grand magazine américain mais, en 2017, œil pour œil, dent pour dent, Trump avait, lui, suspendu l’octroi de visas aux ressortissants de nombreux pays musulmans.
Puis l’évidence du réchauffement climatique s’est imposée et les Etats-Unis en ont ressenti un effroi particulier car il leur fallait admettre à la fois que leur pays continent était menacé de tous les types possibles de catastrophes naturelles et que leur économie et leur mode de vie l’étaient aussi tant ils dépendaient du pétrole. C’est aux Etats-Unis que le réchauffement sonnait le plus clairement la fin d’une ère et qu’a dit Donald Trump à ses concitoyens ? « Pas d’inquiétude », leur a-t-il dit puisque tout cela n’est qu’invention et que je nous fais sortir des accords internationaux sur le climat.
Et puis il y avait la Chine, puissance endormie dont le réveil ébranle le monde. La Chine désindustrialise la terre entière mais lance un vrai défi aux Etats-Unis car elle pourrait bien les reléguer au second rang et qu’a dit Donald Trump aux Américains ? « Pas de panique », leur a-t-il dit : nous allons ériger des remparts douaniers.
Et puis il y a l’immigration dont l’ampleur suscite partout un rejet. Il est d’autant plus fort aux Etats-Unis qu’ils n’ont pas de frontière maritime avec le sous-continent mais une continuité territoriale et qu’a dit Donald Trump aux électeurs américains ? « Nous fermons les portes », leur a-t-il dit en érigeant un mur et jurant de procéder à une expulsion de masse.
Et puis il y eut, ces dernières années, une multiplication des guerres qui, partout, fait craindre une troisième guerre mondiale. Les Américains sont ceux qui le redoutent le plus car ils ne veulent plus s’engager dans de lointains conflits et que leur a dit Donald Trump ? « Nous nous replions à l’abri de nos frontières », leur a-t-il dit en faisant bloquer par la Chambre des Représentants, six mois durant, tout aide à l’Ukraine.
Depuis que l’équilibre de la terreur n’est plus là pour assurer un ordre international, que le climat lui-même s’est déréglé et que les forces politiques traditionnelles n’ont pas de réponse convaincante aux défis de ce nouveau siècle, il n’est pas de peuple qui n’ait peur mais les Américains sont ceux qui ont le plus peur car ils ont le plus à perdre.
Rien de mystérieux donc à ce que ce soit le grand retour du protectionnisme, à ce que les extrêmes-droites nationalistes aient partout le vent en poupe, à ce que la quête d’hommes providentiels prenne le pas sur la Raison et à ce qu’une majorité d’Américains ait voté pour le tribun qui leur promettait un retour à leur « âge d’or » – aux temps où ils étaient sûrs d’être en sécurité et d’être à jamais les plus forts.
(Photo: Donald Trump speaking with attendees at a rally at Desert Diamond Arena in Glendale, Arizona on 23 August 2024. © Wikimedia Commons. Photographer: Gage Skidmore.)