Serons-nous à la hauteur ? C’est loin d’être impossible. C’est même loin d’être improbable mais tous ceux qui vont disant, en si grand nombre, que nous ne saurons pas faire face à Donald Trump et que l’Europe se défera bientôt sous ses coups de boutoir ne manquent hélas pas d’arguments.
Le fait est, d’abord, que ces pessimistes ont raison de dire que jamais l’Union européenne n’avait autant manqué de dirigeants à même de la maintenir à flot. Ce n’est pas que l’intelligences fasse défaut mais jamais les deux premières puissances européennes, l’Allemagne et la France, n’avaient en même temps traversé de telles crises intérieures, économiques et politiques. Ces paralysies simultanées laissent l’Union sans pilotes alors qu’à Washington les nominations s’enchainent, toutes plus effarantes les unes que les autres.
Jamais, en deuxième lieu, les extrêmes-droites n’avaient été en situation d’offrir à la droite européenne, au Parti populaire, une majorité alternative à celle qu’il forme avec les centristes et la social-démocratie. A plusieurs reprises, la droite a ainsi pu s’appuyer ces dernières semaines sur les extrêmes-droites pour imposer des politiques ou des nominations dont ses alliés de gauche et du centre ne voulaient pas. La méfiance et les tensions ne cessent ainsi plus de grandir entre les forces qui constituent la majorité censée diriger l’Union et à laquelle Ursula von der Leyen doit sa reconduction à la tête de la Commission.
Jamais, en troisième lieu, les finances européennes n’auront été en si piteux état car l’économie allemande est en panne structurelle alors même que les dettes française et italienne atteignent des sommets. Plus aucun des plus grands Etats de l’Union ne dispose ainsi des fonds nécessaires aux investissements civils et militaires auxquels l’Europe devrait massivement procéder d’urgence pour ne pas perdre pied face à la Chine et aux Etats-Unis
Jamais, en quatrième lieu, les scènes politiques des 27 Etats de l’Union n’auront paru aussi incertaines puisque les droites et les gauches sont toutes en crise d’identité, que les extrême-droites europhobes ou eurosceptiques progressent à peu près partout et qu’il est toujours plus difficile de former des coalitions gouvernementales cohérentes et stables.
Jamais enfin, depuis huit décennies, les pays européens n’auront été confrontés à une aussi grande insécurité puisqu’ils doivent, en même temps, faire face à une guerre d’agression à l’Est, à un chaos montant au Sud et, à l’Ouest, à un retrait des Etats-Unis qui les laisse virtuellement sans Défense.
Le pessimisme n’est pas infondé mais plutôt qu’à la fin de l’Union c’est pourtant à son affirmation politique qu’on pourrait assister.
Dès le premier mandat de Donald Trump, les Etats européens avaient si bien compris que le parapluie américain se refermait que le tabou qui pesait jusqu’alors sur l’idée même d’une Défense commune était tombé. L’entrée des troupes russes en Ukraine a ensuite si bien précipité cette évolution que la prochaine Commission comprendra un Commissaire à la Défense, notamment chargé de jeter les bases d’industries militaires pan-européennes sans lesquelles il ne peut y avoir de Défense autonome de l’Union.
Or il ne s’agit pas là que de mots. Non seulement les pays sortis du bloc soviétique sont maintenant à l’avant-garde de la bataille pour la Défense commune mais on s’interroge aujourd’hui à Bruxelles sur la possibilité de rediriger vers la Défense d’importants fonds civils encore inemployés et de voir la dissuasion française remplacer le parapluie américain.
Il y a une telle crainte que Donald Trump ne veuille ouvrir une guerre commerciale avec l’Union et ne s’entende avec Vladimir Poutine sur le dos des Ukrainiens et de l’ensemble des Européens qu’un rapprochement se cherche entre la Grande-Bretagne et l’Union ; que la Pologne appelle à serrer les rangs européens pour parer l’éloignement américain et, qu’affaiblissement de la France ou pas, ce sont aujourd’hui les vues françaises sur l’impératif d’une Défense commune et d’une autonomie stratégique qui dominent dans l’Union.
L’Allemagne, en troisième lieu, a un tel besoin d’investissements que sa droite semble prête à rompre avec les interdits pesant sur l’endettement de la République fédérale. Après les législatives anticipées de février prochain, la première économie européenne devrait donc être dirigée par un démocrate-chrétien, Friedrich Merz, qui souhaite que Berlin emprunte, investisse et compense, par des armes allemandes de longue portée, la probable diminution du soutien américain à l’Ukraine.
Si l’Allemagne s’ouvre à l’endettement, il est permis de penser qu’elle pourrait également s’ouvrir à des emprunts européens qui favoriseraient des politiques industrielles communes et permettraient des investissements dans la Défense européenne et le développement de l’aide militaire commune à l’Ukraine.
Les terrains sur lesquels la force d’entrainement franco-allemande pourrait se reconstituer et s’élargir à la Pologne sont déjà largement esquissés. Tant au Conseil européen qu’au Parlement et à la Commission, les rangs de la gauche, de la droite, des Verts et du centre en seront resserrés au détriment des extrêmes-droites. L’épouvantail trumpiste peut bien plus probablement affirmer l’Union que la déliter car, en politique, nécessité fait loi.
(Photo: Trump White House Archived)