La rencontre se voulait discrète et l’a été. Venus de la diaspora russe et d’Europe centrale, de ce qui fut le bloc soviétique, ces journalistes ne voulaient pas plus attirer l’attention de la presse que des services de renseignements car ils avaient à débattre en confiance de sujets complexes.
Comment lutter contre la corruption systémique qui ne gangrène pas que la Russie mais également la Slovaquie, la Hongrie, la Bulgarie et s’étend toujours plus ? Comment rendre compte de la guerre en Ukraine alors que les lecteurs n’en peuvent plus d’être abreuvés d’horreur et que tous, ni en Russie ni ailleurs, ne veulent pas affronter Poutine ?
Comment réinventer la presse libre, encore plus fragile dans ces pays qu’elle ne l’est dans les vieilles démocraties ? Comment définir les régimes autoritaires qui ne gardent de la démocratie que des scrutins faussés par la destruction de tous les contre-pouvoirs et, pour ce qui est de la Russie, par la restauration de répressions brutales ? Et comment tisser, surtout, de vrais liens entre Russes et Centre-Européens que tant de semblables défis rapprochent mais qu’un passé commun divise tellement que pas un seul Ukrainien n’était présent ?
C’était l’éléphant dans la pièce, la question qui n’était pas posée mais qui se posait tant que longues pauses avaient été prévues entre les débats pour que cafés, biscuits et apartés permettent d’apprendre à se connaître, en anglais ou en russe.
Ce fut un succès que d’autres suivront mais quatre choses se sont déjà entendues.
Explicitée par un politiste russe aujourd’hui réfugié en Allemagne, la première est que nous ne devons jamais oublier que malgré l’entrée des troupes russes en Ukraine, malgré Orban, Poutine et le reste, la démocratie s’est étendue comme jamais en Europe. Violée, malmenée ou menacée, elle est devenue la norme jusqu’à la frontière russe et une large partie de la population russe elle-même s’en réclame et l’espère, héroïquement ou en silence.
La seconde est que cette réalité est si vraie et tellement intolérable à Vladimir Poutine et aux extrêmes-droites qui admirent sa dictature que la vraie frontière qui divise l’Europe n’est ni celle de la gauche et de la droite ni celle qui séparait, au sein de l’Union, les pays sortis du bloc soviétique et les autres mais l’Europe. Les uns veulent le triomphe des valeurs européennes de respect de l’état de droit et des droits de l’Homme tandis que les autres s’en effraient et les vomissent et c’est cette frontière-là qui fondamentalement explique l’agression russe contre l’Ukraine.
La beauté, la magie, de cette rencontre est que la Russie démocratique, incarnée lors de cette réunion par ses journalistes en exil rejoignait totalement les démocrates de l’Union, notamment hongrois et slovaques, dans une bataille commune contre l’orbano-poutinisme.
De même, troisième point, qu’il n’y a plus de différences entre les jeunesses de la Pologne et les jeunesses néerlandaise ou suédoise, il n’y en a plus entre les jeunesses urbaines de Russie et celles de l’Europe du Nord. Aspirations, vêtements, lectures, musiques et anglais commun, ce sont les mêmes et un autre politiste russe faisait remarquer, lui, que la population russe, pour la premières fois dans l’Histoire de son pays, est plus européenne que les milieux dirigeants.
De là à penser que le poutinisme n’aura un jour été qu’en affreuse parenthèse et que la Russie finira par préférer la démocratie européenne à la suzeraineté chinoise, il n’y a qu’un pas mais toute la question est de savoir quand et après combien d’épreuves.
Là, les avis divergeaient mais la certitude est qu’il revient à la presse russe en exil, parce qu’elle est la seule à pouvoir le faire, de construire la scène politique dont la Russie manque.
(Photo: Elke Wetzig, CC BY-SA 4.0, Wikimedia Commons)