C’est sans l’ombre d’un mea culpa. Il n’est plus grand monde qui n’adjure matin et soir l’Europe de s’affirmer au plus vite face à Donald Trump mais où les entend-on, ces eurosceptiques et autres souverainistes d’antan regretter d’avoir si longtemps ignoré, moqué, rejeté l’effort d’unification de nos pays ?

On aimerait les voir tirer les leçons de leurs erreurs passées à défaut de s’en excuser mais non ! C’est d’abord l’Union qu’ils blâment. C’est à elle et non pas à l’ardeur avec laquelle ils l’avaient combattue, qu’ils reprochent la faiblesse dans laquelle nous sommes, sans vraie Défense et si mal armés contre la menace de barrières douanières, d’une entente avec Vladimir Poutine sur le dos de l’Ukraine et d’un retrait de la protection militaire des Etats-Unis.

Il faut se pincer pour y croire mais bon, c’est ainsi, et maintenant que grâce à Donald Trump la nécessité de l’unité européenne n’est plus guère contestée la question est de savoir comment serrer nos rangs et faire front.

L’urgence, disent beaucoup, est d’élargir l’Union à l’Ukraine, aux Balkans occidentaux et à la Moldavie, aux sept pays candidats et même aux neuf en comptant Serbie et Géorgie. Il le faut, expliquent-ils, car si nous continuions à laisser ces pays dans l’antichambre, la Turquie, la Chine, les États-Unis et, bien sûr, la Russie tenteraient d’y prendre pied pour y étendre leurs zones d’influence.

C’est absolument vrai. Ce danger n’est que trop réel mais le fait est que les électeurs européens ne sont pas majoritairement prêts à accepter ce passage à 34 ou 36 États membres au lieu de 27. Même si le Parlement européen et le Conseil y donnaient leur feu vert, de nombreux votes nationaux, référendaires ou parlementaires, le bloqueraient et l’Union essuierait ainsi un retentissant échec dont elle mettrait du temps à se remettre.

C’est la première erreur à ne pas commettre et la seconde serait de vouloir modifier les traités afin d’en finir avec la règle de l’unanimité. Cela semble impératif car l’unanimité ralentit les prises de décisions en obligeant à de longues quêtes de compromis mais le problème est que tout débat sur une modification des traités rouvrirait la guerre de religions entre partisans de l’Europe fédérale et de l’Europe des nations. La méfiance et les incompréhensions conduiraient à des votes de rejet encore plus nombreux qu’en 2008, lors des empoignades sur le projet de traité constitutionnel. Tout comme l’élargissement, la voie institutionnelle est à éviter mais alors que faire ?

C’est dans les cadres existants qu’il faut agir car les évolutions politiques et économiques des États membres le permettent.

Depuis la première élection de Donald Trump, il n’est plus un seul pays de l’Union pour refuser de la doter d’une Défense commune. Ce qui était vu jusqu’en 2016 comme une lubie française est aujourd’hui l’ambition commune et l’agression contre l’Ukraine a déjà conduit les 27 à passer leurs commandes de munitions ensemble.

Les traités actuels n’interdisent aucunement de poursuivre dans cette voie. La Pologne qui n’avait si longtemps juré que par les achats d’armes américaines envisage d’investir dans Airbus. L’Union va jeter les bases d’industries militaires paneuropéennes et plus Donald Trump tournera le dos à l’Europe, plus elle accélérera cette affirmation d’un pilier européen de l’Alliance atlantique.

Cela ne se fera pas forcément à 27. Toutes les capitales n’iront pas du même pas car toutes ne disposent pas des mêmes capacités financières ou ne sont pas mues par une même volonté d’aller de l’avant mais rien n’empêchera celles que veulent aller plus loin plus vite de le faire. La force motrice de ce changement sera le triangle de Weimar – France, Pologne et Allemagne – parce qu’il y a un consensus polonais sur la nécessité d’augmenter les budgets militaires de l’Union, que la France a toujours plaidé pour faire de l’Europe un acteur de la scène internationale et que l’Allemagne, en pleine évolution, acceptera bientôt que l’Union emprunte pour financer ses efforts de Défense.

Au sein de ce triangle, l’entente franco-polonaise s’approfondit et devient décisive. La Grande-Bretagne va, pour sa part, se rapprocher de l’Union en épaulant le Triangle de Weimar sur les questions militaires. Quant à l’Ukraine, à défaut d’immédiatement devenir membre à part entière de l’Union, elle devrait associer son industrie de Défense à la création des industries militaires paneuropéennes dont elle deviendra l’un des promoteurs essentiels.

Or qui dit Défense commune, dit politiques industrielles et diplomatie communes. C’est en faisant plutôt qu’en disant que l’Europe s’affirmera autour d’objectifs partagés et de projets civils et militaires. Au sein de la Communauté politique européenne, forum de 44 États créé après l’entrée des troupes russes en Ukraine, les 27 et les pays candidats vont ainsi développer un ensemble commun dont la logique et l’utilité ne seront plus contestables. Bien des pièces de ce puzzle sont encore à emboiter mais beaucoup le sont déjà et laissent deviner un nouveau paysage européen. Attaquée par la Russie, délaissée par l’Amérique, une puissance se rassemble.

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