Il ne l’avait pas voulu. Il ne l’aurait pas imaginé, mais grâce à Donald Trump, grâce aux philippiques munichoises de son vice-président et grâce à l’ahurissante cécité avec laquelle il a fait de Vladimir Poutine un homme de paix, l’Europe est en rangs serrés, prête à se doter d’une Défense commune et à s’affirmer en puissance politique.
Il y faudra de l’argent que nous n’avons pas, un temps qui nous est compté et des conflits que nous n’éviterons pas. Il faudra se résoudre à emprunter et trouver d’impossibles compromis industriels mais le tournant est pris car enfin…
Les Allemands ont été vendredi les premiers à relever le gant. Ces Allemands qui, plus encore que les Britanniques, avaient toujours été les alliés les plus suivistes des Etats-Unis, n’ont pas supporté que les trumpistes viennent leur reprocher de ne pas laisser leur extrême-droite entrer au gouvernement. Les Allemands ont tiré les premiers et qui s’est-il ensuite trouvé pour soutenir ou même excuser ce téméraire vice-président ?
Personne.
Depuis les échanges enamourés que Donald Trump a eu avec le despote russe, il ne s’est trouvé que Viktor Orban, cheval de Troie du Kremlin au Conseil européen, pour l’approuver. C’est bien peu, très peu et d’autant plus frappant que même Giorgia Meloni, l’amie italienne, s’est gardée d’applaudir car elle n’ignore pas que l’Italie serait l’un des trois pays, avec l’Irlande et l’Allemagne, à le plus souffrir des barrières douanières que la Maison-Blanche souhaite opposer à nos exportations.
L’heure est à la solidarité européenne. L’heure est au rapprochement entre l’Union et le Royaume-Uni, désormais associé à toutes nos discussions sur les questions de sécurité. La Pologne qui avait longtemps été si profondément hostile à l’idée d’une Défense commune en plaide aujourd’hui la nécessité avec tout autant d’ardeur que les Français. Ursula von der Leyen, la si prudente présidente de la Commission s’est faite plus française que les Français en annonçant que les dépenses militaires n’entreraient plus dans le calcul des 3% du PIB sous lesquels les Etats membres doivent maintenir leur déficit budgétaire.
C’est un encouragement à augmenter les commandes d’armement nationales, un objectif de la Commission, soutenue là par l’Allemagne et la France. Or cela se produit, après que l’invasion russe de l’Ukraine a conduit la Suède et la Finlande à rejoindre l’Otan et à faire ainsi de la Baltique une mer atlantique.
Sans se tromper, on pourrait donc dire que jamais l’Union européenne ne s’est mieux portée et n’a été si près d’entamer sa longue marche vers les Etats-Unis d’Europe. Quand on repense à la profondeur des divisions qui l’avaient déchirée au moment de la guerre d’Irak ou lors de la faillite grecque, ce ne serait pas forcer le trait que de le dire mais le problème est qu’on parle là du moyen terme, si ce n’est du long.
A dix ou quinze ans, le tournant pris par l’Union la mène à devenir une puissance politique du même poids que les Etats-Unis ou la Chine mais aujourd’hui ?
C’est hélas ! tout différent.
Pour l’heure, l’Union a 27 armées différentes, c’est à dire à peu près pas d’armée. Son retard technologique est inquiétant et il lui faudra quelque dix ans pour se doter d’une Défense commune opérationnelle. Dans les négociations qui devraient s’ouvrir sur l’Ukraine, l’Union est au mieux reléguée à la table des enfants tandis que les grands entendent se découper l’Europe en zones d’influence. Française et allemande, les deux premières économies de l’Union traversent une mauvaise passe, doublée dans les deux capitales d’une crise politique. Il n’est pratiquement plus d’Etat de l’Union où l’extrême-droite ne réunisse entre un quart et un tiers des électeurs. Mme Le Pen est en position de remporter la prochaine présidentielle française alors même que l’équipe Trump, comme le Kremlin, joue la carte de ces nouveaux partis qui pourraient bien les débarrasser d’une force économique et politique ascendante en détruisant l’Union de l’intérieur.
Pour l’heure, l’Union est gravement fragilisée mais alors que faut-il voir, les faiblesses présentes ou la dynamique de l’affirmation ? La réalité du moment ou la promesse de la mobilisation en cours ?
La réponse est que la promesse de la dynamique éclipse la réalité des faiblesses car, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le temps joue pour nous. En admettant que les échanges russo-américains aboutissent à un cessez-le-feu, nous aurons à déployer des troupes le long de la ligne de démarcation, non pas en première position mais en seconde, derrière les Ukrainiens.
Ce sera l’acte de naissance d’une Défense commune, sous mandat de l’Union mais sans participation de tous les Etats membres. Sur le champ de bataille, la Défense va anticiper l’avenir de l’Union qui ne s’élargira plus au terme d’interminables négociations, chapitre par chapitre, mais par accords bilatéraux entre l’Union et les pays candidats. L’Ukraine n’attendra pas quinze ans pour entrer dans l’Union mais la rejoindra sur la Défense et les industries d’armements avant d’un jour former avec elle la première puissance agricole du monde. Les élargissements à venir se feront par étapes. C’est ce qui permettra à la Grande-Bretagne de nous rejoindre quand elle s’y décidera après avoir placé des soldats sur le sol ukrainien aux côtés de Français, d’Allemands, de Scandinaves, de Baltes, d’Italiens, d’Espagnols et même de Polonais bien qu’ils s’y refusent pour l’instant.
Dans l’adversité politique et le défi militaire qui nous sera lancé par ce cessez-le-feu, s’il advient, s’esquisse l’Union de demain. Ses degrés d’intégration resteront longtemps différents mais l’habitude d’agir ensemble, et même sous le feu, tissera des liens indissolubles d’où naitra, dans un quart de siècle, un ensemble politique de quelque quarante membres.
Peut-être, dira-t-on, mais si Poutine rompt le cessez-le-feu et attaque nos forces, dans trois ou cinq ans, sans que les Etats-Unis ne nous défendent ?
Ce n’est en effet pas impossible mais il est beaucoup plus vraisemblable que Poutine ait besoin de respirer et ne reparte pas aussitôt à l’attaque. Le temps qu’il lui faudra pour mobiliser de nouvelles forces nous permettra, à nous, de nous préparer à l’inéluctable poursuite de son agression car, à eux tous, les 27 ont près de deux millions d’hommes à aligner.
L’Europe n’est pas encore morte.
(Photo: @ European Union 2013)