Ukraine : qu’espérer du retournement de Trump au Vatican ?

Tribune parue dans la Libération le 28 avril 2025.

On ne peut pas exclure que le président américain redonne aux Ukrainiens les moyens militaires d’imposer un compromis qui ne soit pas une reddition. Mais ses raisons de vouloir s’entendre avec Poutine sont extrêmement profondes.

Face-à-face avec Zelensky, message énervé envers Poutine : que penser de la nouvelle séquence Trump sur l’Ukraine ? Première hypothèse : l’Esprit saint. La majesté des lieux et l’émotion collective qui saisissaient grands de ce monde et simples chrétiens pourraient avoir fait comprendre à Donald Trump qu’il n’était pas impossible que son ami Poutine le «balade» et ne veuille «peut-être pas la paix».

Plus crédible, l’autre hypothèse est que Donald Trump se soit décidé à faire pression sur le président russe en brandissant la menace de nouvelles sanctions. Ce ne serait en rien surprenant car Vladimir Poutine ne se hâte pas d’accepter les propositions de paix américaines alors même qu’elles ont tout pour le satisfaire. Les Etats-Unis reconnaîtraient non pas que la Crimée est contrôlée par la Russie mais qu’elle lui appartiendrait. La ligne de front deviendrait une ligne de démarcation entre deux Ukraine et les portes de l’Alliance atlantique resteraient fermées à l’Ukraine indépendante.

Tronçonnée, l’Ukraine serait à la merci d’une nouvelle agression russe mais ce n’est pas encore suffisant pour le maître du Kremlin qui voudrait aussi qu’elle soit démilitarisée, privée des armes et des hommes nécessaires à sa défense. Ça fait beaucoup mais peut-on alors espérer que Donald Trump aille jusqu’à engager une épreuve de force avec Vladimir Poutine en redonnant aux Ukrainiens les moyens militaires d’imposer un compromis qui ne soit pas une reddition ?

Chantage au respect de ses valeurs

Cet homme est capable de tels retournements qu’on ne peut nullement l’exclure mais ses raisons de vouloir s’entendre avec Vladimir Poutine sont extrêmement profondes.

La première est que les revendications du Kremlin sur l’Ukraine lui semblent totalement légitimes. Comme Vladimir Poutine, il ne voit dans l’Ukraine qu’une province de l’Empire russe, perdue à la faveur de l’écroulement soviétique mais destinée à y revenir. C’est ce que Donald Trump exprime en martelant que c’est Volodymyr Zelensky qui aurait commencé cette guerre car il aurait en quelque sorte, veut-il dire, condamné Vladimir Poutine à la déclencher en voulant pérenniser l’indépendance de son pays.

Dans son esprit, l’Ukraine a tablé sur l’appui militaire des Etats-Unis pour refuser l’inéluctabilité d’un retour à la suzeraineté russe. L’Ukraine, pense-t-il, a exercé sur l’Amérique un chantage au respect de ses valeurs auquel Joe Biden a eu tort de céder. C’est pour cela qu’il se considère bien bon d’essayer, lui, d’œuvrer à la paix maintenant que le mal est fait et pour cela qu’il menace de se désintéresser de cette crise s’il ne parvenait pas à faire plier les Ukrainiens.

Donald Trump paraît ignorer que bien des David ont vaincu, dans l’histoire, bien des Goliath. Il ne lui vient pas à l’esprit que l’aspiration à l’indépendance nationale a défait plus d’un empire mais pourquoi oublie-t-il tout à la fois l’anticolonialisme des Etats-Unis, le droit international qu’ils avaient promu après guerre et leur alliance avec l’Europe ?

Evidente, la réponse est que ce président veut rompre avec tout ce qui avait fait l’identité et l’autorité politiques des Etats-Unis sur la scène internationale mais limite aujourd’hui leur liberté de manœuvre.

Rien d’une foucade

Il tourne le dos à l’anticolonialisme parce qu’il n’y a plus d’empires français et britannique contre lesquels affirmer l’Amérique mais des frontières à élargir, au nord et dans l’Arctique. Il répudie le droit international car il souhaite pouvoir conquérir le Groenland et le Canada par l’ingérence, les pressions ou la force exactement comme Vladimir Poutine l’a progressivement fait en Ukraine en invoquant lui aussi «l’intérêt national». Quant à l’Europe, il l’aime tant qu’il préfère qu’il y en ait 27. Il veut une Europe éclatée, incapable de se défendre, pas plus économiquement que politiquement ou militairement car il ne veut que des vassaux sur ce continent qu’il est tout prêt à se partager avec la Russie.

La politique ukrainienne de Donald Trump n’a ainsi rien d’une foucade. Elle traduit au contraire l’ampleur du basculement qu’il souhaite faire opérer aux Etats-Unis pour en faire le plus puissant des trois empires – russe, chinois et américain – qui se partageraient ce siècle. L’ennui pour lui, et on le voit à la manière dont Vladimir Poutine le «balade» en Ukraine, est que Russes et Chinois se verraient bien ensemble à la première place, devant les Etats-Unis.

( Photo : Official White House Photo by Shealah Craighead via Flickr )

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Ukraine : qu’espérer du retournement de Trump au Vatican ?

Tribune parue dans la Libération le 28 avril 2025.

On ne peut pas exclure que le président américain redonne aux Ukrainiens les moyens militaires d’imposer un compromis qui ne soit pas une reddition. Mais ses raisons de vouloir s’entendre avec Poutine sont extrêmement profondes.

Face-à-face avec Zelensky, message énervé envers Poutine : que penser de la nouvelle séquence Trump sur l’Ukraine ? Première hypothèse : l’Esprit saint. La majesté des lieux et l’émotion collective qui saisissaient grands de ce monde et simples chrétiens pourraient avoir fait comprendre à Donald Trump qu’il n’était pas impossible que son ami Poutine le «balade» et ne veuille «peut-être pas la paix».

Plus crédible, l’autre hypothèse est que Donald Trump se soit décidé à faire pression sur le président russe en brandissant la menace de nouvelles sanctions. Ce ne serait en rien surprenant car Vladimir Poutine ne se hâte pas d’accepter les propositions de paix américaines alors même qu’elles ont tout pour le satisfaire. Les Etats-Unis reconnaîtraient non pas que la Crimée est contrôlée par la Russie mais qu’elle lui appartiendrait. La ligne de front deviendrait une ligne de démarcation entre deux Ukraine et les portes de l’Alliance atlantique resteraient fermées à l’Ukraine indépendante.

Tronçonnée, l’Ukraine serait à la merci d’une nouvelle agression russe mais ce n’est pas encore suffisant pour le maître du Kremlin qui voudrait aussi qu’elle soit démilitarisée, privée des armes et des hommes nécessaires à sa défense. Ça fait beaucoup mais peut-on alors espérer que Donald Trump aille jusqu’à engager une épreuve de force avec Vladimir Poutine en redonnant aux Ukrainiens les moyens militaires d’imposer un compromis qui ne soit pas une reddition ?

Chantage au respect de ses valeurs

Cet homme est capable de tels retournements qu’on ne peut nullement l’exclure mais ses raisons de vouloir s’entendre avec Vladimir Poutine sont extrêmement profondes.

La première est que les revendications du Kremlin sur l’Ukraine lui semblent totalement légitimes. Comme Vladimir Poutine, il ne voit dans l’Ukraine qu’une province de l’Empire russe, perdue à la faveur de l’écroulement soviétique mais destinée à y revenir. C’est ce que Donald Trump exprime en martelant que c’est Volodymyr Zelensky qui aurait commencé cette guerre car il aurait en quelque sorte, veut-il dire, condamné Vladimir Poutine à la déclencher en voulant pérenniser l’indépendance de son pays.

Dans son esprit, l’Ukraine a tablé sur l’appui militaire des Etats-Unis pour refuser l’inéluctabilité d’un retour à la suzeraineté russe. L’Ukraine, pense-t-il, a exercé sur l’Amérique un chantage au respect de ses valeurs auquel Joe Biden a eu tort de céder. C’est pour cela qu’il se considère bien bon d’essayer, lui, d’œuvrer à la paix maintenant que le mal est fait et pour cela qu’il menace de se désintéresser de cette crise s’il ne parvenait pas à faire plier les Ukrainiens.

Donald Trump paraît ignorer que bien des David ont vaincu, dans l’histoire, bien des Goliath. Il ne lui vient pas à l’esprit que l’aspiration à l’indépendance nationale a défait plus d’un empire mais pourquoi oublie-t-il tout à la fois l’anticolonialisme des Etats-Unis, le droit international qu’ils avaient promu après guerre et leur alliance avec l’Europe ?

Evidente, la réponse est que ce président veut rompre avec tout ce qui avait fait l’identité et l’autorité politiques des Etats-Unis sur la scène internationale mais limite aujourd’hui leur liberté de manœuvre.

Rien d’une foucade

Il tourne le dos à l’anticolonialisme parce qu’il n’y a plus d’empires français et britannique contre lesquels affirmer l’Amérique mais des frontières à élargir, au nord et dans l’Arctique. Il répudie le droit international car il souhaite pouvoir conquérir le Groenland et le Canada par l’ingérence, les pressions ou la force exactement comme Vladimir Poutine l’a progressivement fait en Ukraine en invoquant lui aussi «l’intérêt national». Quant à l’Europe, il l’aime tant qu’il préfère qu’il y en ait 27. Il veut une Europe éclatée, incapable de se défendre, pas plus économiquement que politiquement ou militairement car il ne veut que des vassaux sur ce continent qu’il est tout prêt à se partager avec la Russie.

La politique ukrainienne de Donald Trump n’a ainsi rien d’une foucade. Elle traduit au contraire l’ampleur du basculement qu’il souhaite faire opérer aux Etats-Unis pour en faire le plus puissant des trois empires – russe, chinois et américain – qui se partageraient ce siècle. L’ennui pour lui, et on le voit à la manière dont Vladimir Poutine le «balade» en Ukraine, est que Russes et Chinois se verraient bien ensemble à la première place, devant les Etats-Unis.

( Photo : Official White House Photo by Shealah Craighead via Flickr )

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