Ne désespérons plus, la Gen Z arrive !

Tribune publiée le 20 octobre 2025 dans Libération.

Onze pays en un an, ce n’est plus un hasard. Onze pays secoués au même moment par une même génération mue par les mêmes injustices, ce n’est plus une coïncidence mais un phénomène et ce phénomène est mondial.

De l’Afrique à l’Asie, de l’Europe à l’Amérique latine, du Kenya au Pérou, de Madagascar à l’Indonésie, du Népal à la Serbie, du Maroc au Timor oriental en passant par le Bangladesh, le Mali et le Paraguay, ce n’est pas pour une révolution mais pour des réformes que la « Gen Z », la génération Z, ceux qui sont nés au tournant du siècle, descendent dans la rue. Sourires aux lèvres, candeur et détermination, ils n’entendent pas renverser le pouvoir mais exiger qu’il gouverne pour le bien commun et chaque fois, c’est un dysfonctionnement ou une brutalité policière qui aura mis le feu aux poudres.

Certains de ces mouvements s’essoufflent. D’autres s’affirment mais il suffirait qu’ils s’étendent et atteignent une grande puissance, la Chine, la France ou les Etats-Unis, pour qu’il faille parler des twenties comme on avait parlé des sixties au siècle dernier. Les baby-boomers rejetaient alors la coupure du monde en deux et le conservatisme social des deux blocs. Le Printemps de Prague, la révolution sexuelle et l’épuisement du mythe communiste allaient fermer une page et en ouvrir une autre mais là ?

Ce qui frappe aujourd’hui est que la Gen Z a la non-violence pour mot d’ordre et ne rêve pas de lendemains qui chantent puisqu’il n’y a plus de Che Guevara pour reprendre l’héritage du bolchevisme agonisant. Le capitalisme lui-même n’est pas rejeté car cette génération veut tout simplement que l’eau coule au robinet, qu’on ne meure plus du sous-équipement hospitalier, que la corruption soit éradiquée et que les universités ne soient plus laissées à l’abandon.

Alors que les sixties avaient clos l’après-guerre, ces twenties amorcent ainsi un rejet du néo-libéralisme que Margaret Thatcher et Ronald Reagan avaient fait triompher dans les années 80. « L’impôt, disaient-ils, tue l’impôt » et « l’Etat n’est pas la solution mais le problème ». Ces dogmes avaient permis l’envol de la Chine et de nouvelles industries mais avaient, dans le même temps, diminué les ressources des services publics, spectaculairement accru les inégalités et considérablement réduit la marge de manœuvre des Etats.

La frustration sociale qui en est résulté a suscité un recul de l’identification aux grands partis et de l’adhésion à la démocratie elle-même. De nouvelles extrêmes-droites ont comblé ce vide en accusant le libre-échange et l’immigration de la dégradation des services publics et nous en sommes désormais à l’organisation d’une internationale réactionnaire dont le cœur bat à Washington.

C’est elle et elle seule qui semblait devoir marquer cette décennie mais voilà qu’entre en scène une nouvelle génération qui a grandi, sur les cinq continents, dans l’affaiblissement des Etats, le recul de la redistribution des richesses et l’internationalisation d’une culture visuelle dont la langue commune est un créole dérivé de l’anglais.

Bien plus encore que durant les sixties, la jeunesse est une génération du monde et cette génération ne veut plus des écarts de richesse, de la corruption, de la paupérisation des services publics et du triomphe international de l’argent roi. Elle ne veut autrement dit pas de ce qui est l’essence du trumpisme. Cette Gen Z est civique et non pas révolutionnaire et son éveil est la meilleure et la plus inespérée des nouvelles.

Photo : Wikimedia Commons

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Ne désespérons plus, la Gen Z arrive !

Tribune publiée le 20 octobre 2025 dans Libération.

Onze pays en un an, ce n’est plus un hasard. Onze pays secoués au même moment par une même génération mue par les mêmes injustices, ce n’est plus une coïncidence mais un phénomène et ce phénomène est mondial.

De l’Afrique à l’Asie, de l’Europe à l’Amérique latine, du Kenya au Pérou, de Madagascar à l’Indonésie, du Népal à la Serbie, du Maroc au Timor oriental en passant par le Bangladesh, le Mali et le Paraguay, ce n’est pas pour une révolution mais pour des réformes que la « Gen Z », la génération Z, ceux qui sont nés au tournant du siècle, descendent dans la rue. Sourires aux lèvres, candeur et détermination, ils n’entendent pas renverser le pouvoir mais exiger qu’il gouverne pour le bien commun et chaque fois, c’est un dysfonctionnement ou une brutalité policière qui aura mis le feu aux poudres.

Certains de ces mouvements s’essoufflent. D’autres s’affirment mais il suffirait qu’ils s’étendent et atteignent une grande puissance, la Chine, la France ou les Etats-Unis, pour qu’il faille parler des twenties comme on avait parlé des sixties au siècle dernier. Les baby-boomers rejetaient alors la coupure du monde en deux et le conservatisme social des deux blocs. Le Printemps de Prague, la révolution sexuelle et l’épuisement du mythe communiste allaient fermer une page et en ouvrir une autre mais là ?

Ce qui frappe aujourd’hui est que la Gen Z a la non-violence pour mot d’ordre et ne rêve pas de lendemains qui chantent puisqu’il n’y a plus de Che Guevara pour reprendre l’héritage du bolchevisme agonisant. Le capitalisme lui-même n’est pas rejeté car cette génération veut tout simplement que l’eau coule au robinet, qu’on ne meure plus du sous-équipement hospitalier, que la corruption soit éradiquée et que les universités ne soient plus laissées à l’abandon.

Alors que les sixties avaient clos l’après-guerre, ces twenties amorcent ainsi un rejet du néo-libéralisme que Margaret Thatcher et Ronald Reagan avaient fait triompher dans les années 80. « L’impôt, disaient-ils, tue l’impôt » et « l’Etat n’est pas la solution mais le problème ». Ces dogmes avaient permis l’envol de la Chine et de nouvelles industries mais avaient, dans le même temps, diminué les ressources des services publics, spectaculairement accru les inégalités et considérablement réduit la marge de manœuvre des Etats.

La frustration sociale qui en est résulté a suscité un recul de l’identification aux grands partis et de l’adhésion à la démocratie elle-même. De nouvelles extrêmes-droites ont comblé ce vide en accusant le libre-échange et l’immigration de la dégradation des services publics et nous en sommes désormais à l’organisation d’une internationale réactionnaire dont le cœur bat à Washington.

C’est elle et elle seule qui semblait devoir marquer cette décennie mais voilà qu’entre en scène une nouvelle génération qui a grandi, sur les cinq continents, dans l’affaiblissement des Etats, le recul de la redistribution des richesses et l’internationalisation d’une culture visuelle dont la langue commune est un créole dérivé de l’anglais.

Bien plus encore que durant les sixties, la jeunesse est une génération du monde et cette génération ne veut plus des écarts de richesse, de la corruption, de la paupérisation des services publics et du triomphe international de l’argent roi. Elle ne veut autrement dit pas de ce qui est l’essence du trumpisme. Cette Gen Z est civique et non pas révolutionnaire et son éveil est la meilleure et la plus inespérée des nouvelles.

Photo : Wikimedia Commons

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