Russie, Etats-Unis, UE, Ukraine : qui veut, craint et refuse quoi ?

Tribune publiée dans Libération le 1 décembre 2025

Il y a, dans cette guerre, quatre parties mais seulement deux camps. Ukrainiens, Russes, Américains et Européens, chacun a ses objectifs et ses lignes rouges mais la convergence des ambitions russes et américaines consolide toujours plus le bloc formé par l’Union européenne et l’Ukraine.

Vladimir Poutine, d’abord, ne veut pas reconstituer l’URSS mais l’Empire des tsars dans lequel il n’y avait pas ces Républiques nationales – ukrainienne, baltes ou géorgienne – qu’il reproche aux communistes d’avoir créées. Totalement formelles tant que le régime soviétique était fort, ce sont en effet ces Républiques qui ont utilisé, après la chute du mur de Berlin, leur droit constitutionnel à l’autodétermination pour devenir des Etats indépendants. Vladimir Poutine voudrait toutes les faire revenir aujourd’hui dans le giron russe, pas à pas bien sûr, et y ajouter dès que possible des terres qui furent impériales comme la Finlande ou même – pourquoi pas ? – la partie de la Pologne que Moscou s’était adjugée au XIX° siècle.

Ce n’est pas caché. C’est dit et lorsque le président russe nie vouloir agresser « l’Europe », il ne ment qu’à demi car il ne veut pas étendre son Empire jusqu’aux côtes atlantiques mais lui rendre les frontières des tsars afin d’en faire la force dominante d’un continent dont les Etats-Unis se détournent depuis deux décennies.

C’est là que ses ambitions rejoignent celles de Donald Trump car le président américain ne fait pas qu’admirer l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Bien au-delà de cette convergence idéologique, il ne voit pas d’inconvénient stratégique à ce que l’Empire russe se reconstitue et ne verrait en revanche qu’avantage à un délitement de l’Union européenne. A la fois concurrent économique des Etats-Unis et obstacle aux visées impériales de la Russie maintenant qu’elle a intégré une large partie de l’ancien bloc soviétique, l’Union est l’adversaire commun de Trump et de Poutine, une puissance qu’ils veulent tous deux diviser et détruire avant qu’elle ne s’affirme en acteur politique de la scène internationale. Le rêve de Trump et de Poutine est en un mot de s’entendre sur le dos des Européens afin de rendre à leurs pays le statut de superpuissances dominantes qu’ils ont perdu depuis la fin de la Guerre froide.

Quant aux Ukrainiens, ils sont tout sauf aveugles. Ils n’ignorent nullement qu’ils ne pourront jamais retrouver leurs terres perdues de Crimée et du Donbass avant un éventuel éclatement de la Fédération de Russie. L’Ukraine sait que cette guerre ne prendra fin qu’avec sa division. Elle l’admet. Elle s’y prépare mais refuse d’avoir à céder à Poutine des terres qu’il n’a pas conquises et à limiter la souveraineté militaire, politique et diplomatique de l’Ukraine maintenue.

L’Ukraine veut pouvoir dissuader la Russie de relancer un jour son agression et, contrairement aux Américains, les Européens lui donnent en cela raison. Les pays d’Europe centrale le font parce qu’ils craignent d’être aussi victime d’une relance de l’agression russe et ceux d’Europe occidentale parce qu’ils ne veulent pas se retrouver seuls face à un nouvel Empire russe.

Hongrie et Slovaquie exceptées, l’Union en est ainsi venue à former un ensemble politique d’une très profonde unité et visant à se doter d’une défense commune. C’est une totale nouveauté, un tournant d’autant plus profond que les Européens sont activement soutenus par la Grande-Bretagne et plusieurs autres des grandes démocraties.

Par trois fois déjà, c’est ce qui a permis aux Ukrainiens d’échapper à la reddition que Donald Trump aurait voulu leur imposer. L’Ukraine et l’Union tiennent bon mais leur situation est difficile parce qu’elles sont prises en étau par le Kremlin et la Maison-Blanche, qu’il n’y aura pas de Défense européenne avant plusieurs années et que le renseignement américain est tout simplement indispensable à la défense ukrainienne.

C’est la carte maitresse de Donald Trump. Vladimir Poutine dispose, lui, de bien plus d’hommes que l’Ukraine mais dans les énièmes pourparlers de cette semaine, Ukrainiens et Européens auront eu quatre atouts de taille. L’économie russe s’affaiblit. La popularité de Donald Trump ne cesse de reculer. Sauf à remporter une victoire assez éclatante pour lui permettre de se proclamer vainqueur, Vladimir Poutine ne peut pas accepter les compromis mineurs dont les Américains auraient besoin pour tordre le bras aux Ukrainiens. C’est si vrai qu’il s’y est toujours refusé jusqu’à présent et Donald Trump, de son côté, risquerait gros à ouvertement poignarder l’Ukraine car le monde entier serait alors amené à s’interroger sur la crédibilité des Etats-Unis. La partie est affreusement serrée mais la démocratie n’a pas déjà perdu.

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Russie, Etats-Unis, UE, Ukraine : qui veut, craint et refuse quoi ?

Tribune publiée dans Libération le 1 décembre 2025

Il y a, dans cette guerre, quatre parties mais seulement deux camps. Ukrainiens, Russes, Américains et Européens, chacun a ses objectifs et ses lignes rouges mais la convergence des ambitions russes et américaines consolide toujours plus le bloc formé par l’Union européenne et l’Ukraine.

Vladimir Poutine, d’abord, ne veut pas reconstituer l’URSS mais l’Empire des tsars dans lequel il n’y avait pas ces Républiques nationales – ukrainienne, baltes ou géorgienne – qu’il reproche aux communistes d’avoir créées. Totalement formelles tant que le régime soviétique était fort, ce sont en effet ces Républiques qui ont utilisé, après la chute du mur de Berlin, leur droit constitutionnel à l’autodétermination pour devenir des Etats indépendants. Vladimir Poutine voudrait toutes les faire revenir aujourd’hui dans le giron russe, pas à pas bien sûr, et y ajouter dès que possible des terres qui furent impériales comme la Finlande ou même – pourquoi pas ? – la partie de la Pologne que Moscou s’était adjugée au XIX° siècle.

Ce n’est pas caché. C’est dit et lorsque le président russe nie vouloir agresser « l’Europe », il ne ment qu’à demi car il ne veut pas étendre son Empire jusqu’aux côtes atlantiques mais lui rendre les frontières des tsars afin d’en faire la force dominante d’un continent dont les Etats-Unis se détournent depuis deux décennies.

C’est là que ses ambitions rejoignent celles de Donald Trump car le président américain ne fait pas qu’admirer l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Bien au-delà de cette convergence idéologique, il ne voit pas d’inconvénient stratégique à ce que l’Empire russe se reconstitue et ne verrait en revanche qu’avantage à un délitement de l’Union européenne. A la fois concurrent économique des Etats-Unis et obstacle aux visées impériales de la Russie maintenant qu’elle a intégré une large partie de l’ancien bloc soviétique, l’Union est l’adversaire commun de Trump et de Poutine, une puissance qu’ils veulent tous deux diviser et détruire avant qu’elle ne s’affirme en acteur politique de la scène internationale. Le rêve de Trump et de Poutine est en un mot de s’entendre sur le dos des Européens afin de rendre à leurs pays le statut de superpuissances dominantes qu’ils ont perdu depuis la fin de la Guerre froide.

Quant aux Ukrainiens, ils sont tout sauf aveugles. Ils n’ignorent nullement qu’ils ne pourront jamais retrouver leurs terres perdues de Crimée et du Donbass avant un éventuel éclatement de la Fédération de Russie. L’Ukraine sait que cette guerre ne prendra fin qu’avec sa division. Elle l’admet. Elle s’y prépare mais refuse d’avoir à céder à Poutine des terres qu’il n’a pas conquises et à limiter la souveraineté militaire, politique et diplomatique de l’Ukraine maintenue.

L’Ukraine veut pouvoir dissuader la Russie de relancer un jour son agression et, contrairement aux Américains, les Européens lui donnent en cela raison. Les pays d’Europe centrale le font parce qu’ils craignent d’être aussi victime d’une relance de l’agression russe et ceux d’Europe occidentale parce qu’ils ne veulent pas se retrouver seuls face à un nouvel Empire russe.

Hongrie et Slovaquie exceptées, l’Union en est ainsi venue à former un ensemble politique d’une très profonde unité et visant à se doter d’une défense commune. C’est une totale nouveauté, un tournant d’autant plus profond que les Européens sont activement soutenus par la Grande-Bretagne et plusieurs autres des grandes démocraties.

Par trois fois déjà, c’est ce qui a permis aux Ukrainiens d’échapper à la reddition que Donald Trump aurait voulu leur imposer. L’Ukraine et l’Union tiennent bon mais leur situation est difficile parce qu’elles sont prises en étau par le Kremlin et la Maison-Blanche, qu’il n’y aura pas de Défense européenne avant plusieurs années et que le renseignement américain est tout simplement indispensable à la défense ukrainienne.

C’est la carte maitresse de Donald Trump. Vladimir Poutine dispose, lui, de bien plus d’hommes que l’Ukraine mais dans les énièmes pourparlers de cette semaine, Ukrainiens et Européens auront eu quatre atouts de taille. L’économie russe s’affaiblit. La popularité de Donald Trump ne cesse de reculer. Sauf à remporter une victoire assez éclatante pour lui permettre de se proclamer vainqueur, Vladimir Poutine ne peut pas accepter les compromis mineurs dont les Américains auraient besoin pour tordre le bras aux Ukrainiens. C’est si vrai qu’il s’y est toujours refusé jusqu’à présent et Donald Trump, de son côté, risquerait gros à ouvertement poignarder l’Ukraine car le monde entier serait alors amené à s’interroger sur la crédibilité des Etats-Unis. La partie est affreusement serrée mais la démocratie n’a pas déjà perdu.

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