Les quatre raisons de leur hostilité

Tribune publiée dans Libération le 8 décembre 2025.

Pourquoi sommes-nous leur seule cible ? Pourquoi les Etats-Unis de Donald Trump estiment-ils dans la présentation de leur Stratégie de sécurité nationale qu’ils doivent « encourager la résistance à l’actuelle trajectoire de l’Europe » alors même qu’ils disent vouloir répudier tout « l’interventionnisme » américain de la Guerre froide et de l’après-communisme ?

A ceux des Etats qui ignorent les libertés et l’équité sociale, Donald Trump ne veut plus que l’Amérique ne fasse ni reproches ni suggestions, mais à nous, les démocraties européennes, il annonce vouloir contrer notre « effacement civilisationnel », « gérer (nos) relations avec la Russie » et s’appuyer pour cela sur « l’influence croissante des partis patriotiques européens ».

A ses yeux, les dictatures seraient libres de respecter ce qui serait leurs « traditions et leur histoire » alors que nous les Européens sommes sommés de rompre avec nos « attentes irréalistes » sur l’issue de la guerre d’Ukraine et d’ouvrir nos « marchés aux biens et aux services des Etats-Unis ».

C’est maintenant dit et écrit mais comment expliquer que ce vieux monde qui serait en voie d’effacement obsède tant Donald Trump et ses amis et pourquoi voudraient-ils si ardemment nous remettre dans le droit chemin, le leur, alors que nous compterions désormais si peu ?

La première réponse, c’est eux qui la donnent. « L’Europe demeure stratégiquement et culturellement vitale pour les Etats-Unis », écrivent-ils page 26 de ce document en rappelant que « le commerce transatlantique reste l’un des piliers de l’économie mondiale et de la prospérité américaine » ; que l’Europe abrite une « recherche scientifique de pointe » et que nos secteurs industriel, technologique et énergétique comptent « parmi les plus solides du monde ». « Non seulement nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer l’Europe mais cela serait autodestructeur » car nous aurons besoin, concluent-ils, d’une « Europe forte pour nous aider à l’emporter dans la compétition » internationale.

Ces lignes, nous devrions les faire apprendre par cœur à tous ceux qui vont expliquant que nous sommes en faillite, décadents et historiquement perdus. Peut-être ces déclinistes réaliseraient-ils alors que non seulement, l’Union européenne demeure, coude à coude avec la Chine, dans le peloton de tête des plus grandes puissances économiques mondiales mais qu’avec le Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie, la richissime Norvège et bien d’autres encore, elle serait en position de rivaliser un jour avec les Etats-Unis eux-mêmes.

L’Union a d’énormes retards à combler mais, désormais, elle attire autour d’elle des démocraties qui ne veulent pas plus de la domination américaine que d’une domination chinoise. Un nouvel pôle politique s’esquisse dans la défense de l’Ukraine et l’immense paradoxe est que ce sont Donald Trump et ses amis, ceux-là mêmes qui craignent le plus cette mutation politique de l’Europe, qui la précipitent par la brutalité de leur comportement.

C’est la deuxième raison de l’hostilité qu’ils nous manifestent et la troisième est que si l’Ukraine défaisait Vladimir Poutine grâce au soutien européen, le poids de l’Union en serait considérablement accru. Pour Donald Trump, il faut que la Russie l’emporte pour empêcher que l’Europe ne s’affirme et la quatrième raison de sa volonté de vassaliser les Européens est que l’Union est la seule puissance économique à être restée fidèle à la protection sociale et à l’économie sociale de marché, au modèle social que les démocraties occidentales avaient défini après-guerre.

On peut juger que cette solidarité s’érode mais nulle part au monde la santé, les retraites et l’éducation supérieure elle-même ne relèvent autant qu’en Europe de la redistribution fiscale et donc de l’équité sociale. L’Union européenne est un contre-exemple au droit du plus fort et à cette loi de la jungle qui partout l’emportent – un contre modèle que Donald Trump et ses amis voudraient détruire tant sa force d’attraction leur est odieuse.

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Les quatre raisons de leur hostilité

Tribune publiée dans Libération le 8 décembre 2025.

Pourquoi sommes-nous leur seule cible ? Pourquoi les Etats-Unis de Donald Trump estiment-ils dans la présentation de leur Stratégie de sécurité nationale qu’ils doivent « encourager la résistance à l’actuelle trajectoire de l’Europe » alors même qu’ils disent vouloir répudier tout « l’interventionnisme » américain de la Guerre froide et de l’après-communisme ?

A ceux des Etats qui ignorent les libertés et l’équité sociale, Donald Trump ne veut plus que l’Amérique ne fasse ni reproches ni suggestions, mais à nous, les démocraties européennes, il annonce vouloir contrer notre « effacement civilisationnel », « gérer (nos) relations avec la Russie » et s’appuyer pour cela sur « l’influence croissante des partis patriotiques européens ».

A ses yeux, les dictatures seraient libres de respecter ce qui serait leurs « traditions et leur histoire » alors que nous les Européens sommes sommés de rompre avec nos « attentes irréalistes » sur l’issue de la guerre d’Ukraine et d’ouvrir nos « marchés aux biens et aux services des Etats-Unis ».

C’est maintenant dit et écrit mais comment expliquer que ce vieux monde qui serait en voie d’effacement obsède tant Donald Trump et ses amis et pourquoi voudraient-ils si ardemment nous remettre dans le droit chemin, le leur, alors que nous compterions désormais si peu ?

La première réponse, c’est eux qui la donnent. « L’Europe demeure stratégiquement et culturellement vitale pour les Etats-Unis », écrivent-ils page 26 de ce document en rappelant que « le commerce transatlantique reste l’un des piliers de l’économie mondiale et de la prospérité américaine » ; que l’Europe abrite une « recherche scientifique de pointe » et que nos secteurs industriel, technologique et énergétique comptent « parmi les plus solides du monde ». « Non seulement nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer l’Europe mais cela serait autodestructeur » car nous aurons besoin, concluent-ils, d’une « Europe forte pour nous aider à l’emporter dans la compétition » internationale.

Ces lignes, nous devrions les faire apprendre par cœur à tous ceux qui vont expliquant que nous sommes en faillite, décadents et historiquement perdus. Peut-être ces déclinistes réaliseraient-ils alors que non seulement, l’Union européenne demeure, coude à coude avec la Chine, dans le peloton de tête des plus grandes puissances économiques mondiales mais qu’avec le Grande-Bretagne, le Canada, l’Australie, la richissime Norvège et bien d’autres encore, elle serait en position de rivaliser un jour avec les Etats-Unis eux-mêmes.

L’Union a d’énormes retards à combler mais, désormais, elle attire autour d’elle des démocraties qui ne veulent pas plus de la domination américaine que d’une domination chinoise. Un nouvel pôle politique s’esquisse dans la défense de l’Ukraine et l’immense paradoxe est que ce sont Donald Trump et ses amis, ceux-là mêmes qui craignent le plus cette mutation politique de l’Europe, qui la précipitent par la brutalité de leur comportement.

C’est la deuxième raison de l’hostilité qu’ils nous manifestent et la troisième est que si l’Ukraine défaisait Vladimir Poutine grâce au soutien européen, le poids de l’Union en serait considérablement accru. Pour Donald Trump, il faut que la Russie l’emporte pour empêcher que l’Europe ne s’affirme et la quatrième raison de sa volonté de vassaliser les Européens est que l’Union est la seule puissance économique à être restée fidèle à la protection sociale et à l’économie sociale de marché, au modèle social que les démocraties occidentales avaient défini après-guerre.

On peut juger que cette solidarité s’érode mais nulle part au monde la santé, les retraites et l’éducation supérieure elle-même ne relèvent autant qu’en Europe de la redistribution fiscale et donc de l’équité sociale. L’Union européenne est un contre-exemple au droit du plus fort et à cette loi de la jungle qui partout l’emportent – un contre modèle que Donald Trump et ses amis voudraient détruire tant sa force d’attraction leur est odieuse.

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