Les Occidentaux doivent réapprendre ce que parler veut dire

Il n’avait pas tort, Emmanuel Macron. Lorsque Joe Biden appelle à ce que le feu cesse à Gaza, la « cohérence » voudrait en effet qu’il ne livre plus les armes alimentant ce feu. Un enfant le comprendrait mais où est la cohérence lorsque ce même Emmanuel Macron reporte aux calendes grecques la reconnaissance de la Palestine alors que la France défend depuis toujours l’idée d’une coexistence entre deux États, israélien et palestinien, et qu’il s’est lui-même inscrit dans ce sillage ?

Le président français ne montre pas là plus de cohérence que celui des États-Unis et le drame est que l’incohérence est devenue la règle des deux côtés de l’Atlantique. Le meilleur exemple en est l’Ukraine. Unanimes, Américains et Européens estiment qu’il ne faut pas que Vladimir Poutine sorte victorieux de son agression car il serait alors en position de poursuivre son ambition de reconstitution de l’Empire russe. Les Occidentaux fournissent donc aux Ukrainiens assez d’armes pour faire front mais leur interdisent en revanche de les utiliser pour aller frapper des cibles militaires en territoire russe.

La raison en est qu’ils craignent qu’une défaite de Vladimir Poutine ne plonge le plus étendu des pays du monde dans un chaos général et que son arsenal nucléaire ne se retrouve hors contrôle. Américains et Européens ne veulent, en un mot, pas plus voir l’Ukraine gagner que perdre car une défaite de la Russie serait aussi dangereuse, à leurs yeux, que sa victoire. Ils savent ce dont ils ne veulent pas mais ne savent pas ce qu’ils veulent et c’est de la même incapacité à se décider et agir qu’ils font montre au Proche-Orient.

Depuis trois décennies, les États-Unis et l’Union européenne y prônent de concert la solution à deux États mais n’ont jamais voulu contraindre les deux parties à vraiment l’accepter. Par crainte de cimenter contre eux un front des pays arabes, de l’Iran et de la Turquie, ils se sont toujours abstenu de dire noir sur blanc aux Palestiniens qu’il n’y aurait plus de veto occidental à l’annexion des territoires occupés s’ils persistaient à refuser un partage pérenne. Par crainte que les islamistes sunnites et l’Iran ne l’emportent dans toute la région, ils n’ont jamais non plus menacé les Israéliens de les priver d’aide économique et militaire s’ils continuaient à tout faire pour empêcher la constitution d’un État palestinien.

Européens et Américains se sont condamnés à l’impuissance et maintenant que les Israéliens ont riposté au massacre du 7 octobre en brisant le Hamas et décapitant le Hezbollah, ils se refusent à les laisser bombarder les sites nucléaires iraniens. Les Occidentaux n’ignorent bien sûr pas que la République islamique va maintenant se doter de la bombe mais interdisent aux Israéliens de lui en ôter la possibilité par crainte que ne s’ensuive une longue et incertaine période de terrorisme indiscriminé.

Au Proche-Orient comme en Ukraine, Américains et Européens sont paralysés par la peur de l’inconnu. Leur obsession est partout de préserver des cadres connus alors même que le monde n’a déjà plus ni règles ni cadres communs et que le seul moyen d’assurer une stabilité internationale est de formuler et faire respecter des objectifs clairs et susceptibles de s’imposer à tous.

En Ukraine, les Occidentaux feraient beaucoup avancer les choses en faisant savoir, premièrement, qu’ils seraient favorables à des compromis politiques et territoriaux entre Kiev et Moscou et, deuxièmement, qu’ils lèveraient leur veto à l’usage de leurs armes en territoire russe si Vladimir Poutine refusait de rappeler ses troupes et de négocier les termes d’un modus vivendi. Au Proche-Orient, il suffit de voir la panique avec laquelle Benjamin Netanyahou a réagi aux propos d’Emmanuel Macron sur l’arrêt des livraisons d’armes frappant Gaza pour comprendre qu’Américains et Européens pourraient vite lui imposer la création d’un État palestinien en le menaçant de lui couper leurs aides.

L’Union européenne et les États-Unis sont seuls à pouvoir faire barrage à la montée du désordre international. Mais il leur faut pour cela réapprendre ce que parler veut dire.

(Photo: Ted Eytan, Creative Commons)

Après la mort de Nasrallah, Nétanyahou saura-t-il transformer cette victoire en une paix durable ?

Paru dans la Libération le 30 septembre 2024

La force et l’intransigeance d’Israël ont payé. Contre le Hamas et le Hezbollah. Mais aussi face au président américain, à la justice internationale, et aux opinions publiques occidentales, analyse l’eurodéputé Bernard Guetta. L’avenir demeure pourtant incertain car, sous les bombes, les enfants n’apprennent pas à tendre la main.

En trois mots comme en cent, il a gagné. Avec la mort de Hassan Nasrallah, Benyamin Nétanyahou a virtuellement gagné cette guerre, car après avoir brisé le Hamas en un an de bombardements de Gaza, il a décapité le Hezbollah en écrasant son chef sous les ruines de son bunker.

Les armes ne s’en tairont pas d’un coup. Il y aura d’autres rebondissements, mais d’abord ébranlé par un massacre comme Israël n’en avait jamais connu, ce Premier ministre a su débarrasser son pays des deux plus grandes menaces auxquelles il était confronté. Rien d’étonnant à ce que les Israéliens l’en applaudissent, mais voudra-t-il maintenant, et le saurait-il, transformer cette victoire en une paix durable ?

C’est toute la question, car le fait est, pour l’heure, que ce sont la force et l’intransigeance qui ont payé. La force a payé contre le Hamas qui a perdu là l’essentiel de ses troupes face aux soldats, aux avions et aux missiles d’un Premier ministre décidé à l’éliminer. L’intransigeance a payé face à un président américain qui réprouvait le martyre subi par les Gazaouis, mais qui a laissé faire de crainte que l’Iran ne prenne l’avantage dans tout le Proche-Orient à travers ses alliés du Hamas et du Hezbollah.

Une guerre de l’ombre

La force et l’intransigeance ont payé face à la justice internationale et aux protestations de l’écrasante majorité des capitales. Elles ont payé face aux opinions publiques occidentales qui, les mois passant, ont toujours plus désapprouvé l’horreur de la punition collective infligée aux Gazaouis. La force et l’intransigeance ont payé malgré la désapprobation générale qu’elles suscitaient et sitôt qu’il est apparu qu’elles l’emportaient contre le Hamas, Benyamin Nétanyahou les a tournées contre le Hezbollah, mais dans une guerre de l’ombre.

Parce qu’ils ne pouvaient pas envahir à la fois Gaza et le Sud-Liban et qu’ils ne voulaient pas se risquer aux combats de rue dans lesquels le Hezbollah tentait de les attirer, les Israéliens ont préféré le renseignement aux troupes et aux tanks, les essaims d’abeilles aux bombes et aux hommes. Ils ont commencé par cibler de très hauts cadres de cet Etat dans l’Etat que les plus radicaux des chiites libanais avaient créé grâce à l’aide de l’Iran. Ils ont déstabilisé le Hezbollah et la direction iranienne en leur montrant qu’ils s’étaient infiltrés jusqu’à leurs plus hauts rangs et l’opération bipeurs est alors venue semer la panique à tous les échelons d’une organisation qui s’était crue invincible tant elle avait amassé de missiles visant Israël.

Bien des choses sont devenues possibles, mais les Palestiniens ?

C’est de l’intérieur que les Israéliens ont défait le Hezbollah et la mort de son chef, Hassan Nasrallah, était dès lors écrite. Déjà très affaiblie sur sa scène intérieure, la théocratie iranienne a perdu cette bataille. Benyamin Nétanyahou l’a gagnée et obtiendrait la majorité à lui seul si les Israéliens votaient demain. La chute de ce Premier ministre semblait hier imminente, mais tout va bien pour lui. Les monarchies pétrolières, l’Egypte, le trône marocain et la Jordanie sont évidemment soulagés de la défaite d’un régime qui aspirait, depuis la chute du chah, à restaurer l’ancienne puissance perse à leur détriment. Les alliés arabes d’Israël sont si bien confortés qu’avant même la mort de Hassan Nasrallah, Benyamin Nétanyahou appelait, devant l’Assemblée générale de l’ONU, à l’ouverture de relations diplomatiques israélo-saoudiennes.

Quoi qu’ils en disent, ni les Etats-Unis ni les pays de l’Union européenne ne sauraient non plus s’affliger du naufrage du Hezbollah dont ils avaient si souvent été victimes. Ruiné, meurtri, démembré par des décennies de guerre civile et l’emprise que l’Iran exerçait sur lui par Hezbollah interposé, le Liban pourrait aujourd’hui chercher un modus vivendi avec Israël et se reconstruire avec l’aide de l’Europe et du Golfe. La prospérité d’une zone de libre-échange proche-orientale n’est elle-même plus totalement inimaginable. Bien des choses impossibles sont maintenant devenues possibles, mais les Palestiniens ?

On sent bien que la droite israélienne se dit qu’elle pourrait les faire oublier tout autant que les Etats-Unis ont fait oublier les Indiens d’Amérique, mais, contrairement aux Indiens, les Palestiniens ont un milliard et demi de coreligionnaires dans le monde, leurs enfants ne viennent pas, sous les bombes, d’apprendre à tendre la main, et Israël a beaucoup perdu d’appuis et de sympathies depuis un an. La victoire va toujours à la victoire, mais on peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus.

(Photo: © United Nations / UN Photo / Loey Felipe)

A Land for All

Il ne s’agit plus de déplorer cet enchainement de crimes. Il ne s’agit plus de condamner mais d’agir et d’en revenir, pour cela, à la coexistence des deux peuples qui se disputent cette Terre qu’on dit sainte, à la seule solution possible, à la solution à 2 Etats que défendent l’ONU, la Ligue arabe, notre Union et ses 27 capitales. 

Une utopie, dit-on toujours plus. 

Oui, mais nécessaire et pas plus utopique que la réconciliation franco-allemande sur laquelle s’était fondée notre Union. Si nous voulons que l’Europe redevienne un acteur de la scène internationale, nous devons remettre en chantier le processus de paix enlisé depuis 30 ans. C’est un impératif et je suis à cet égard heureux que notre présidente ait tout récemment rappelé notre attachement à cette solution à 2 Etats et que la lettre de mission de Kaja Kallas comporte la marche vers la coexistence d’Israël et de la Palestine.

Je vous remercie.