Harris ou Trump, le temps de l’Europe

« Si c’est Harris, vous verrez, aura-t-on beaucoup entendu : les Européens seront tellement soulagés d’avoir échappé à Trump qu’ils se reprendront à croire au parapluie américain et ne parleront plus de développer une Défense commune ».

« Si c’est Trump, vous verrez, aura-t-on partout entendu : beaucoup tenteront de négocier en bilatéral le maintien d’une protection américaine et c’en sera fini de toute idée d’autonomie stratégique si ce n’est de l’Union elle-même ».

C’est ce qui se sera tellement dit mais, Harris ou Trump, il n’y a pourtant rien d’improbable à ce que l’Union européenne s’affirme désormais en puissance politique autonome. Elle le souhaite presque unanimement et les signes les plus probants en sont que la prochaine Commission comprendra des Commissaires à la Défense et à la Méditerranée.

L’un devra remettre sous 100 jours un rapport proposant une stratégie industrielle et financière permettant de doter l’Union de capacités militaires communes. L’autre devra jeter les bases d’un réel codéveloppement entre les deux rives du lac méditerranéen afin de réduire la dépendance industrielle de l’Europe vis-à-vis de la Chine, de créer des emplois en Afrique et de réduire les flux migratoires.

Dans l’un et l’autre cas, l’Union compte prendre une dimension politique sur ses flancs oriental et méridional tout en comblant, sur son flanc occidental, l’éloignement des Etats-Unis et, si nouvelle qu’elle soit, cette volonté remonte à 8 ans déjà. En 2016, au soir de l’élection de Donald Trump, les plus atlantistes des Européens étaient en effet tombés de l’armoire en voyant arriver à la Maison-Blanche un homme qui avait fait campagne contre l’engagement des Etats-Unis à défendre l’Europe.

La nécessité d’une Défense commune s’impose alors à tous. C’est la fin d’un tabou et l’agression russe contre l’Ukraine précipite ce tournant en amenant les 27 à vider leurs arsenaux pour aider les Ukrainiens à faire front puis à acheter leurs munitions en commun afin d’en faire baisser les prix et d’harmoniser leurs armements.

A l’origine de cette décision, la Première ministre estonienne, Kaja Kallas, va maintenant prendre en mains la diplomatie européenne. Le futur Commissaire à la Défense, Andrius Kubilius, est une ancien Premier ministre lituanien. Sur la nécessité d’une Défense européenne, il y a aujourd’hui convergence de vues entre la France et les pays sortis du bloc soviétique et elle est si profonde que le Premier ministre polonais, Donald Tusk, vient de déclarer que, Trump ou Harris, l’avenir de l’Europe dépendait d’abord des Européens car « le temps de l’externalisation géopolitique était révolu ».

On ne peut pour autant pas exclure que les pessimistes aient raison.

L’état des finances européennes est tel qu’il peut faire obstacle aux investissements militaires des 27. Mme Le Pen peut arriver au pouvoir en France. La dégradation de la situation internationale peut s’accélérer bien plus vite que l’affirmation politique de l’Europe. Absolument rien n’est assuré mais, Harris ou Trump, le repli des Etats-Unis est tellement profond et la volonté de réémergence politique de l’Europe assez convaincante pour que même un pays comme Taiwan veuille se rapprocher de l’Union.

La Chine démocratique accueillait la semaine dernière, trois délégations parlementaires européennes dont l’une du Parlement européen. A demi-mots et parfois clairement, les plus hauts responsables de ce pays nous ont fait comprendre qu’ils avaient besoin d’une Europe forte car ils ne pouvaient plus compter sur les seuls Etats-Unis. « Nous sommes, Harris ou Trump, l’Ukraine de l’Asie », m’ont dit des étudiants – l’Ukraine dont les Etats-Unis sont bien prêts de se détourner, l’Ukraine où se joue le sort de l’Europe comme celui de l’Asie se jouera à Taiwan.

(Photo: Michael Vadon, Joe Biden @ Flickr)

Les 5 erreurs de M. Xi

Vingt-quatre heures durant, lundi 14 octobre, la Chine communiste a encerclé Taïwan. Cent cinquante-trois avions et 36 navires ont coupé ce pays du monde mais si impressionnante qu’ait été cette démonstration de force, à quoi visait-elle ?

Diplomates, sinologues et militaires en sont toujours à se le demander car s’il s’agissait d’une répétition, si M. Xi se prépare vraiment à annexer la Chine démocratique – à réunifier la Chine, dirait-il – où cela le mènerait-il et mènerait-il le monde ?

Après de longs combats, la dictature chinoise finirait par prendre le contrôle de cette île plus étendue que la Belgique mais outre qu’elle se heurterait alors à une durable résistance, elle serait en fait perdante sur tous les fronts. Inde et Japon en tête, l’Asie serrerait les rangs contre une puissance qui ambitionne de la vassaliser tout entière. Les Etats-Unis se rangeraient immédiatement aux côtés de cette alliance à la constitution de laquelle ils travaillent déjà. L’Union européenne le ferait également car on la voit mal appuyer la Chine communiste contre les Etats-Unis et le reste de l’Asie.

Non seulement le régime chinois s’isolerait mais son économie en serait considérablement affaiblie car, déjà mal en point, elle aurait à souffrir d’une forte diminution de ses exportations vers le monde occidental. A envahir Taïwan, M. Xi Jinping n’aurait rien à gagner. Il aurait, au contraire, beaucoup à perdre et si ces gesticulations n’ont pas d’autre but que d’intimider cette démocratie, il se trompe aussi car leur effet est inverse.

Ces manœuvres à répétition ne font qu’amener Taïwan à renforcer ses systèmes de Défense, les Etats-Unis à affirmer leur présence navale dans la région et les pays asiatiques à faire front.

Sans plus de subtilité qu’une catapulte, M. Xi n’est décidément pas le meilleur des dirigeants possibles pour une Chine qui aurait désormais tant besoin de réfléchir aux responsabilités que lui confère la place qu’elle a acquise, de se faire des amis et de rassurer le monde sur ses intentions.

Plutôt, troisième erreur, que d’abuser de la compétitivité de ses coûts de production pour tenter d’éliminer ses concurrents européens, la Chine devrait chercher à définir des relations économiques équilibrées avec l’Union afin d’en faire un élément de modération de son bras-de-fer avec les Etats-Unis.

Plutôt, quatrième erreur, que d’appuyer l’agression russe contre l’Ukraine, la Chine devrait comprendre que l’Europe ne peut pas voir en elle un partenaire fiable alors qu’elle prête la main à une guerre d’annexion aux frontières de l’Union.

Plutôt, cinquième erreur, que de s’acharner à menacer l’indépendance de Taïwan, le président chinois devrait proposer à l’autre Chine une coopération économique toujours plus large qui l’arrimerait au continent sans pour autant en faire un protectorat. Une Chine qui voudrait et saurait désarmer l’inquiétude qu’elle suscite devrait déclarer qu’il n’y a qu’une seule Chine mais que son unification ne pourra qu’être pacifique et découler d’une volonté conjointe et librement exprimée des populations des deux Etats actuellement existants.

M. Xi rassurerait ainsi l’Asie, l’Europe et les Etats-Unis. Il multiplierait ses soutiens et donnerait à voir une assurance dont tout montre aujourd’hui qu’elle lui manque.

(Photo: © Taiwan Presidential Office 2016)