Cinq échecs, aucun succès

Donald Trump n’en finit plus de chanter ses louanges. Sans doute se croit-il réellement génial mais en dehors d’avoir semé un chaos mondial en seulement sept semaines qu’a-t-il réussi ?

La réponse tient en un mot : rien, absolument rien alors que ses échecs sont aussi nombreux que spectaculaires.

Par deux fois déjà, il a annoncé l’imposition de 25% de droits de douane sur les importations canadiennes et mexicaines et par deux fois il a aussitôt reculé, remettant ces décisions à plus tard pour calmer les Bourses qui commençaient à dévisser dans le monde entier.

Investisseurs et industriels ne sont manifestement pas convaincus par les bienfaits de ces barrières douanières dont Donald Trump dit, lui, et le pense qu’elles réindustrialiseraient les Etats-Unis en leur apportant emplois et richesses. Ils l’ont fait savoir et comme ce président et ses amis détestent voir fondre leurs portefeuilles, les Etats-Unis attendront leur remède miracle.

Pas glorieux et encore moins honorable mais que dire de Gaza ? En visionnaire, Donald Trump avait trouvé quoi faire de cette bande côtière devenue un amas de ruines toujours largement contrôlé par le Hamas. Très simple : après l’avoir vidée de ses deux millions d’habitants, on allait en faire une Riviera semée d’hôtels et de casinos Trump et désormais contrôlée par les Etats-Unis.

Personne n’y avait pensé. Bien trouvé, remarquable mais ni l’Egypte ni la Jordanie ne veulent de ces deux millions de Gazaouis qu’il aurait fallu évacuer fers aux pieds et ce plan constitutif d’un crime contre l’humanité est… Comment dire ?

Il est à l’eau comme prend l’eau la crédibilité de cet homme qui en est déjà à devoir désavouer son bras droit, cet autre génie d’Elon Musk qui s’était mis les ministres à dos en réduisant leurs effectifs sans leur demander leur avis. C’est dans le bureau ovale qu’ils ont si vivement protesté que Donald Trump a maintenant souhaité que les licenciements se fassent au « scalpel » plutôt qu’à la tronçonneuse.

Bravo, M. le président, on ne saurait mieux dire mais l’Europe, cette Union européenne dont vous venez de répéter qu’elle n’avait été créée que pour « baiser les Etats-Unis » et que vous vouliez si évidemment défaire, où en est-elle ?

Eh bien elle a dépassé toutes vos espérances puisqu’elle vient à l’unanimité, Hongrie comprise, de décider de se doter d’une Défense commune afin d’assurer son « autonomie », que la Grande-Bretagne s’est ralliée à cette ambition, que Londres, Paris et Berlin sont désormais unies dans une volonté commune de se passer de vous et que jamais les Européens n’ont été aussi unis qu’aujourd’hui.

Là, votre réussite est franchement éclatante mais reste l’Ukraine. Vous avez donné à voir au monde entier comment vous pouviez traiter, en la personne de son président, un peuple qui se bat depuis trois ans pour faire face à une agression coloniale. Comparés à Volodymyr Zelinsky, votre vice-président et vous-même n’étiez plus que des chefs de gang à l’effarante vulgarité mais maintenant ?

Vous avez privé l’Ukraine d’armes et de renseignement. Vous lui avez fermé les portes de l’Alliance atlantique. Vous l’avez poignardée mais comment allez-vous faire pour la démilitariser, condition mise par Vladimir Poutine à la signature d’un accord ?

Vous ne le pourrez pas. Vous ne pourrez pas empêcher les Européens d’aider et armer l’Ukraine et il est ainsi tout sauf sûr que vous parveniez à un « deal » avec votre ami du Kremlin ou que ce deal tienne longtemps.

Vous avez fait tant de dégâts et accumulé tant d’échecs en sept semaines que vous avez déjà mérité votre surnom : Néron, le grotesque et dévastateur empereur qui lui aussi se prenait pour un génie.

(Photo: ChatGPT)

L’Europe après le 5 novembre

Dans la première hypothèse, tout est tragiquement clair. Si Donald Trump est élu le 5 novembre, il n’attendra pas même sa prise de fonction pour sceller avec Vladimir Poutine un partage de l’Ukraine sur le modèle des deux Allemagne ou des deux Corée.

De facto si ce n’est de jure, les territoires occupés par les troupes russes reviendraient au Kremlin qui s’engagerait en échange à ne pas chercher à progresser au-delà de cette ligne de démarcation. Ce serait la défaite de l’Ukraine et la victoire de Vladimir Poutine mais un débat aussi fondamental que furieux s’ouvrirait aussitôt.

L’Ukraine amputée devrait-elle ou non entrer dans l’Otan ?

En admettant que l’accord conclu entre le président russe et son ami Donald ne lui en ait pas fermé les portes, l’Ukraine y aspirerait plus que jamais. Les Européens auraient, eux, un intérêt vital à ce qu’elle devienne le trente-troisième membre de l’Alliance atlantique et bénéficie par-là d’une protection qu’ils ne peuvent aujourd’hui pas lui offrir seuls. Pour l’Ukraine comme pour l’Union, cet élargissement de l’Otan serait le seul vrai moyen d’empêcher Vladimir Poutine de renouer avec la reconstitution de l’empire russe en reprenant bientôt la route de Kiev. En un mot, c’est sans attendre les résultats du 5 novembre que les Européens devraient se préparer à devoir mener cette bataille mais en sachant deux choses.

L’une est que Donald Trump ne se laisserait pas aisément convaincre de ne pas s’opposer à ce que l’Ukraine vienne élargir une Otan à laquelle il ne voit plus d’utilité. L’autres est que la tâche des Européens ne pourrait pas se limiter à essayer de resserrer les rangs occidentaux sous parapluie américain alors que ce président serait si décidé à précipiter le recentrage des États-Unis sur le défi chinois qu’il pourrait être tenté de tourner la page de l’Alliance atlantique.

Sous une nouvelle présidence Trump, les Européens auraient à apprendre à exister seuls, à considérablement accélérer la création de leur Défense commune et à définir de nouveaux modes et degrés d’intégration à leur Union afin d’ouvrir au plus vite leurs portes à l’Ukraine pour pouvoir faire front avec elle aussi rapidement que possible. Il s’agirait à la fois de signifier à la Russie que c’est à toute l’Union qu’elle s’attaquerait en se réattaquant à l’Ukraine et de s’appuyer sur la Défense ukrainienne pour réduire la durée de construction d’une Défense commune. Dans l’hypothèse Trump, l’objectif des Européens devrait être, sans délais, l’intégration de l’Ukraine à l’Union européenne et, si possible, à l’Alliance atlantique mais dans l’hypothèse Harris ?

Dans cette seconde hypothèse, tout serait à la fois plus rassurant et plus compliqué.

Il n’y aurait pas à craindre que la nouvelle Administration américaine ne s’entende avec le Kremlin sur le dos de l’Ukraine et de l’Europe entière. Il ne serait pas non plus envisageable que les États-Unis s’acharnent soudain à décrédibiliser l’Alliance atlantique ou veuillent en sortir du jour au lendemain. Avec Kamala Harris, l’Union européenne ne serait pas confrontée au défi d’avoir à se réinventer en quelques mois mais les différences entre une présidence Harris et une présidence Trump seraient-elles, sur le fond, aussi déterminantes qu’il y paraît ?

Contrairement à Donald Trump, Kamala Harris n’a certes pas d’admiration pour Vladimir Poutine. Contrairement à lui, elle ne voit pas non plus dans l’Union européenne une rivale que l’Amérique devrait défaire mais elle est Californienne et était encore bien jeune lorsque le mur de Berlin est tombé. Pour elle comme pour Trump, ce n’est pas vers l’Europe mais vers l’Asie que les États-Unis doivent tourner leurs regards et tout dit qu’elle souhaiterait rapidement amener les Ukrainiens à un compromis avec la Russie qui pourrait être très semblable à celui qu’envisage son adversaire républicain.

Or si les formes sont assez respectées pour que l’Europe n’en semble pas trahie, plusieurs des capitales européennes approuveront cette démarche. À droite, à gauche et aux centres, une large partie des 27 opinions publiques l’applaudiraient aussi et dans le soulagement qu’apporterait cette illusion de détente, il serait aussi difficile de plaider l’adhésion de l’Ukraine à l’Alliance atlantique que son entrée dans l’Union.

Autant l’élection de Trump pourrait contraindre l’Union européenne à prendre ses responsabilités politiques, autant celle de Kamala Harris conduirait les 27 à de profondes divergences et à nouvelles et dangereuses procrastinations.

Plutôt qu’à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan, les Européens auraient alors à œuvrer à ce qu’elle obtienne des garanties de sécurité occidentales. Cela leur serait moins difficile et plutôt que de tenter d’immédiatement élargir l’Union à ce qui serait devenu « l’Ukraine de l’Ouest », il leur faudrait multiplier avec elle les accords de coopération civils et militaires afin de renforcer leur frontière avec la Russie et de paver la route d’une intégration future.

Harris ou Trump, le 5 novembre mettra l’Union européenne à l’épreuve. 

(Photo by Andrii Smuryhin)