La carte chinoise, mode d’emploi

L’Europe n’a pas à choisir Xi contre Trump ou Trump contre Xi,
mais à tout autant jouer Xi contre Trump que Trump contre Xi

Tribune publiée dans Le Monde le 18 avril 2025.

Tout en soudaines rondeurs, Xi Jinping nous y appelle. Sans même s’en rendre compte, Donald Trump nous y pousse toujours plus mais le faut-il ? L’Europe doit-elle s’appuyer sur la Chine pour faire face à un président américain qui n’a jamais caché qu’il ne nous voulait aucun bien ?

« Mais comment ! Vous n’y pensez pas ! Jamais, pas question ! », aurait répondu l’immense majorité des Européens il y a encore peu et beaucoup le font encore. L’Europe, font-ils valoir, renierait toutes ses valeurs en se rapprochant de la plus grande dictature du monde, d’un Etat policier qui a instauré une surveillance de masse, martyrise Tibétains et Ouighours, viole tous ses engagements à Hong Kong, menace d’envahir Taiwan et s’adjuge la mer de Chine méridionale par la force du fait accompli.

Tout cela n’est que trop vrai mais il est tout aussi vrai, commence-t-on pourtant à murmurer, que les Etats-Unis de Donald Trump s’en prennent directement à nous, contrairement au régime chinois et tournent le dos à la démocratie.

Car les fait sont là. Donald Trump travaille à s’entendre avec Vladimir Poutine sur le dos des Ukrainiens et de toute l’Europe. Il menace d’annexer le Groenland, y compris par la force. Il dit et le pense que l’Union européenne n’aurait été créée que pour « baiser » les Etats-Unis. Il a mis en doute l’automaticité de la protection américaine de l’Europe et décrédibilisé l’Alliance atlantique. Il s’attaque systématiquement aux contre-pouvoirs de la démocratie américaine. Ses proches et lui-même prennent fait et cause pour nos extrêmes-droites dans l’espoir de nous affaiblir. Et si les Bourses n’avaient pas à ce point dévissé, il nous aurait déjà imposé une guerre commerciale à coup de droits de douane aussi exorbitants qu’injustifiés.

Il n’y a pas un domaine où il ne nous manifeste pas son hostilité et nous devrions toujours voir en cet homme un allié, plutôt brusque mais pérenne ? Nous devrions ne pas voir que Xi Jinping nous tend la main alors que Donald Trump veut nous défaire ? Nous devrions ignorer que le président chinois vient de souhaiter que l’Union européenne et son pays « s’opposent ensemble à l’intimidation » pour défendre leurs intérêts légitimes, les règles internationales et la mondialisation de l’économie ?

Inévitablement, le débat monte et va s’amplifier mais, non, l’Europe n’a pas à choisir Xi contre Trump ou Trump contre Xi mais à tout autant jouer Xi contre Trump que Trump contre Xi.

A ce moment de l’Histoire, en ce vrai début du XXI° siècle, l’Europe est plus forte qu’elle ne l’a jamais été depuis la Première guerre mondiale. Ce n’est pas seulement que les 27, Hongrie comprise, entendent se doter d’une Défense commune car tous ont désormais compris qu’ils ne pouvaient plus compter sur le parapluie américain. Ce n’est pas seulement que l’Allemagne et la France soient en train de former avec la Pologne un trio essentiel à la définition de nos politiques communes. Ce n’est pas seulement que ce tournant soit porteur de politiques industrielles paneuropéennes.

C’est également que la Grande-Bretagne, la Norvège, la Suisse mais aussi l’Australie, le Canada et sans doute beaucoup d’autre bientôt, se rapprochent de l’Union à des degrés divers mais jamais vus car aucun de ces pays ne veut se laisser vassaliser, pas plus par les Etats-Unis que par la Chine. L’Union compte 450 millions de citoyens mais avec ses proches ou lointains partenaires, elle constitue virtuellement un pôle d’au moins 600 millions de consommateurs dont ni les Etats-Unis ni la Chine ne peuvent ignorer le pouvoir d’achat.

A la seule condition de prendre conscience de notre force et de voir que la Chine et les Etats-Unis n’ont pas moins de faiblesses que nous, nous pouvons traiter d’égal à égal avec Donald Trump et Xi Jinping.

Au premier, nous pouvons donner à voir que nous sommes décidés à utiliser tous nos moyens de coercition économique s’il persiste à vouloir nous tordre le bras et tout autant prêts à nous rapprocher de la Chine s’il ne nous laisse pas d’autre choix. Nous devons lui signifier qu’un retour à la brutalité des empires s’accompagnerait forcément d’un retour aux alliances de revers et que vu d’Europe, la Chine est de l’autre côté des Etats-Unis comme de la Russie.

A Xi Jinping nous devons parallèlement dire que s’il ne veut pas se retrouver seul face à Trump, il doit ne pas nous inonder de surplus à bas prix ; cesser de soutenir l’économie d’un pays, la Russie, qui menace toute l’Europe en agressant l’Ukraine et chercher un accord durable avec Taiwan plutôt que de se préparer à l’envahir.

Sur le premier point, la Chine paraît prête à négocier. Sur le deuxième, il est hautement probable qu’elle s’éloignerait de la Russie plus la Russie se rapprocherait des Etats-Unis. Quant au troisième point, le plus difficile, il n’est pas interdit d’espérer que le régime chinois ne souhaite pas se battre sur tous les fronts à la fois.

Bien plus grandes qu’on ne le croit, l’Europe a des marges de manœuvre qui n’échappent pas à ses dirigeants. L’Europe est aujourd’hui en discussions aussi étroites avec Washington qu’avec Beijing mais que se passerait-il si Trump et Xi finissaient par sceller un compromis historique ?

Plus vite encore qu’aujourd’hui, ce siècle deviendrait alors celui des trois puissances : les Etats-Unis, la Chine et l’Europe, puissance d’équilibre à laquelle se joindraient des pans entiers des quatre autres continents.

( Photo : @ Union européenne )

Les 5 erreurs de M. Xi

Vingt-quatre heures durant, lundi 14 octobre, la Chine communiste a encerclé Taïwan. Cent cinquante-trois avions et 36 navires ont coupé ce pays du monde mais si impressionnante qu’ait été cette démonstration de force, à quoi visait-elle ?

Diplomates, sinologues et militaires en sont toujours à se le demander car s’il s’agissait d’une répétition, si M. Xi se prépare vraiment à annexer la Chine démocratique – à réunifier la Chine, dirait-il – où cela le mènerait-il et mènerait-il le monde ?

Après de longs combats, la dictature chinoise finirait par prendre le contrôle de cette île plus étendue que la Belgique mais outre qu’elle se heurterait alors à une durable résistance, elle serait en fait perdante sur tous les fronts. Inde et Japon en tête, l’Asie serrerait les rangs contre une puissance qui ambitionne de la vassaliser tout entière. Les Etats-Unis se rangeraient immédiatement aux côtés de cette alliance à la constitution de laquelle ils travaillent déjà. L’Union européenne le ferait également car on la voit mal appuyer la Chine communiste contre les Etats-Unis et le reste de l’Asie.

Non seulement le régime chinois s’isolerait mais son économie en serait considérablement affaiblie car, déjà mal en point, elle aurait à souffrir d’une forte diminution de ses exportations vers le monde occidental. A envahir Taïwan, M. Xi Jinping n’aurait rien à gagner. Il aurait, au contraire, beaucoup à perdre et si ces gesticulations n’ont pas d’autre but que d’intimider cette démocratie, il se trompe aussi car leur effet est inverse.

Ces manœuvres à répétition ne font qu’amener Taïwan à renforcer ses systèmes de Défense, les Etats-Unis à affirmer leur présence navale dans la région et les pays asiatiques à faire front.

Sans plus de subtilité qu’une catapulte, M. Xi n’est décidément pas le meilleur des dirigeants possibles pour une Chine qui aurait désormais tant besoin de réfléchir aux responsabilités que lui confère la place qu’elle a acquise, de se faire des amis et de rassurer le monde sur ses intentions.

Plutôt, troisième erreur, que d’abuser de la compétitivité de ses coûts de production pour tenter d’éliminer ses concurrents européens, la Chine devrait chercher à définir des relations économiques équilibrées avec l’Union afin d’en faire un élément de modération de son bras-de-fer avec les Etats-Unis.

Plutôt, quatrième erreur, que d’appuyer l’agression russe contre l’Ukraine, la Chine devrait comprendre que l’Europe ne peut pas voir en elle un partenaire fiable alors qu’elle prête la main à une guerre d’annexion aux frontières de l’Union.

Plutôt, cinquième erreur, que de s’acharner à menacer l’indépendance de Taïwan, le président chinois devrait proposer à l’autre Chine une coopération économique toujours plus large qui l’arrimerait au continent sans pour autant en faire un protectorat. Une Chine qui voudrait et saurait désarmer l’inquiétude qu’elle suscite devrait déclarer qu’il n’y a qu’une seule Chine mais que son unification ne pourra qu’être pacifique et découler d’une volonté conjointe et librement exprimée des populations des deux Etats actuellement existants.

M. Xi rassurerait ainsi l’Asie, l’Europe et les Etats-Unis. Il multiplierait ses soutiens et donnerait à voir une assurance dont tout montre aujourd’hui qu’elle lui manque.

(Photo: © Taiwan Presidential Office 2016)