Le trumpisme fabrique son antidote

Tribune publiée dans Libération le 17 novembre 2025.

Les Canadiens se cherchent des alliés, contre Trump bien sûr. Les Européens tout autant et c’est ainsi que des élus de l’Union européenne, du Canada et du Royaume-Uni se sont retrouvés vendredi dernier à Toronto, pour jeter les bases d’un mouvement international de défense de la démocratie.

Réunis par l’Internationale libérale, les invités étaient des centristes de toutes couleurs, indépendants ou membres du Parti démocrate européen, des gens qui haussent rarement le ton, mais le diagnostic était que la démocratie était « under attack » et que l’heure n’était pas à l’« appeasement » avec la Maison-Blanche. Non, il ne fallait surtout pas chercher à amadouer Trump, disait-on, mais créer le rapport de forces qui le fasse reculer.

Premier idée, déjà avancée dans ces colonnes il y a trois semaines : faire voir à l’homme qui se targue de tout réussir que maintenant que les Chinois l’ont fait reculer, il ne renversera pas la vapeur sans se trouver d’alliés et que les Européens seraient prêts à l’aider face à Xi Jinping pour peu qu’il cesse de les traiter en adversaires et de vouloir s’entendre avec Vladimir Poutine sur le dos de l’Ukraine.

Deuxième idée : former sans attendre une coalition de démocraties fidèles à l’état de droit, « L’Entente démocratique », qui contribuerait à augmenter le poids de l’Union européenne face à Washington. La voie a été ouverte par les 33 pays qui se sont réunis à l’initiative de la France et de la Grande-Bretagne dans la Coalition of the willing pour soutenir l’Ukraine lâchée par les Etats-Unis. Une ébauche de ce front de la démocratie existe. Il faut la consolider, l’élargir et la pérenniser en y ralliant maintenant des nations d’Afrique et d’Amérique latine.

Troisième idée : revenir aussi vite que possible au consensus démocratique d’après-guerre qui avait lié la défense de la démocratie au progrès social car le premier facteur de la victoire du trumpisme a été la promesse de réduire les prix, la pauvreté et l’insécurité sociale. Trump a gagné, entendait-on à Toronto, en se faisant le défenseur de ceux que le recul de l’Etat-Providence a laissés pour compte, de ceux-là même qu’il déçoit aujourd’hui, et il s’agit donc pour les démocrates de réinventer un pacte social, notamment en s’opposant à la précarisation de l’emploi, le fléau dont sont victimes les jeunes générations des deux côtés de l’Atlantique.

Quatrième idée, développée par l’une des principales figures politiques du Canada : « faire de l’Europe le nouveau leader du monde libre ».

C’était aussi ahurissant à entendre que le refus de l’appeasement face à Trump mais pas un Canadien n’a cillé. Les Européens n’en croyaient pas leurs oreilles mais pour leurs hôtes, cela semblait relever de l’évidence car « si ce n’est pas l’Europe, qui ? ». Quand les Européens ont commencé à parler de l’inadéquation de leurs institutions à une situation dans laquelle l’Union doit s’affirmer en acteur de la scène internationale, quand ils ont expliqué la difficulté de modifier les traités et dit que l’unité européenne pourrait ne pas survivre à une victoire du Rassemblement national en France et de l’Afd en Allemagne, on a senti les Canadiens agacés par ces états d’âme. Parce qu’ils attendent beaucoup de l’Europe, ils sont, eux, convaincus que c’est dans l’action qu’elle trouvera ses solutions.

« Bougez-vous », disaient leurs regards et ce Dialogue de la liberté s’est achevé sur une cinquième idée : le besoin de rapprocher centristes et socialistes pour que leur alliance contrecarre celle des extrêmes-droites comme elle avait déjà tant contribué à défaire le soviétisme. Alors même qu’il s’essouffle à Washington, le trumpisme fabrique son antidote.

Photo : SumOfUs

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Le trumpisme fabrique son antidote

Tribune publiée dans Libération le 17 novembre 2025.

Les Canadiens se cherchent des alliés, contre Trump bien sûr. Les Européens tout autant et c’est ainsi que des élus de l’Union européenne, du Canada et du Royaume-Uni se sont retrouvés vendredi dernier à Toronto, pour jeter les bases d’un mouvement international de défense de la démocratie.

Réunis par l’Internationale libérale, les invités étaient des centristes de toutes couleurs, indépendants ou membres du Parti démocrate européen, des gens qui haussent rarement le ton, mais le diagnostic était que la démocratie était « under attack » et que l’heure n’était pas à l’« appeasement » avec la Maison-Blanche. Non, il ne fallait surtout pas chercher à amadouer Trump, disait-on, mais créer le rapport de forces qui le fasse reculer.

Premier idée, déjà avancée dans ces colonnes il y a trois semaines : faire voir à l’homme qui se targue de tout réussir que maintenant que les Chinois l’ont fait reculer, il ne renversera pas la vapeur sans se trouver d’alliés et que les Européens seraient prêts à l’aider face à Xi Jinping pour peu qu’il cesse de les traiter en adversaires et de vouloir s’entendre avec Vladimir Poutine sur le dos de l’Ukraine.

Deuxième idée : former sans attendre une coalition de démocraties fidèles à l’état de droit, « L’Entente démocratique », qui contribuerait à augmenter le poids de l’Union européenne face à Washington. La voie a été ouverte par les 33 pays qui se sont réunis à l’initiative de la France et de la Grande-Bretagne dans la Coalition of the willing pour soutenir l’Ukraine lâchée par les Etats-Unis. Une ébauche de ce front de la démocratie existe. Il faut la consolider, l’élargir et la pérenniser en y ralliant maintenant des nations d’Afrique et d’Amérique latine.

Troisième idée : revenir aussi vite que possible au consensus démocratique d’après-guerre qui avait lié la défense de la démocratie au progrès social car le premier facteur de la victoire du trumpisme a été la promesse de réduire les prix, la pauvreté et l’insécurité sociale. Trump a gagné, entendait-on à Toronto, en se faisant le défenseur de ceux que le recul de l’Etat-Providence a laissés pour compte, de ceux-là même qu’il déçoit aujourd’hui, et il s’agit donc pour les démocrates de réinventer un pacte social, notamment en s’opposant à la précarisation de l’emploi, le fléau dont sont victimes les jeunes générations des deux côtés de l’Atlantique.

Quatrième idée, développée par l’une des principales figures politiques du Canada : « faire de l’Europe le nouveau leader du monde libre ».

C’était aussi ahurissant à entendre que le refus de l’appeasement face à Trump mais pas un Canadien n’a cillé. Les Européens n’en croyaient pas leurs oreilles mais pour leurs hôtes, cela semblait relever de l’évidence car « si ce n’est pas l’Europe, qui ? ». Quand les Européens ont commencé à parler de l’inadéquation de leurs institutions à une situation dans laquelle l’Union doit s’affirmer en acteur de la scène internationale, quand ils ont expliqué la difficulté de modifier les traités et dit que l’unité européenne pourrait ne pas survivre à une victoire du Rassemblement national en France et de l’Afd en Allemagne, on a senti les Canadiens agacés par ces états d’âme. Parce qu’ils attendent beaucoup de l’Europe, ils sont, eux, convaincus que c’est dans l’action qu’elle trouvera ses solutions.

« Bougez-vous », disaient leurs regards et ce Dialogue de la liberté s’est achevé sur une cinquième idée : le besoin de rapprocher centristes et socialistes pour que leur alliance contrecarre celle des extrêmes-droites comme elle avait déjà tant contribué à défaire le soviétisme. Alors même qu’il s’essouffle à Washington, le trumpisme fabrique son antidote.

Photo : SumOfUs

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