Et si cette crise ouvrait la voie à une rapprochement de la gauche et du centre ? Ce n’est qu’une possibilité, fragile, faible, incertaine, mais explorons-la car elle pourrait changer bien des choses.
Premier point, si le Premier ministre qu’il vient de renommer était renversé avant les élections présidentielle et législatives du printemps 2027, Emmanuel Macron serait obligé d’organiser des élections anticipées. L’extrême-droite en sortirait majoritaire et le président serait alors contraint de démissionner ou de cohabiter avec un Premier ministre du Rassemblement national.
Le président doit tout faire pour éviter que Sébastien Lecornu ne soit renversé avant l’échéance de 2027 et cela demande donc, deuxième point, de trouver un accord avec les socialistes aux termes duquel ils s’engageraient à ce que leurs voix ne permettent pas l’adoption d’une motion de censure.
C’est ce qui explique, troisième point, la « carte blanche », qu’Emmanuel Macron a donnée à Sébastien Lecornu et dont la signification est parfaitement claire. Le Premier ministre a pour mission et toute latitude de négocier avec la gauche l’accord lui permettant de n’être pas renversé.
Cette mission, quatrième point, n’a rien d’impossible puisque la gauche ne souhaite bien sûr pas faciliter une victoire de l’extrême-droite et que les conditions qu’elle met à un accord avec Sébastien Lecornu peuvent être remplies.
Les socialistes s’engageraient à ne pas renverser le Premier ministre s’ils obtenaient que la réforme des retraites soit au moins gelée, que le pouvoir d’achat des salariés soit augmenté et que les familles les plus fortunées aient à contribuer au redressement des comptes publics.
A ces trois conditions, le Parti socialiste pourrait se targuer d’avoir à la fois assuré la stabilité politique et fait prévaloir des choix que les électeurs de gauche ne sont pas seuls à soutenir. Les socialistes redoreraient leur blason à un an et demi des élections. Au centre-gauche et au contre-droit, les futurs héritiers d’Emmanuel Macron pourraient eux faire campagne en s’étant extraits des sables mouvants dans lesquels ils s’enfoncent depuis les élections européennes.
Ce serait un deal gagnant-gagnant mais allons plus loin.
Il ne serait alors pas improbable qu’au soir du premier tour de la présidentielle, cet accord de raison place le candidat du centre devant la droite et celui des socialistes devant la gauche radicale. Centriste ou socialiste, c’est le mieux placé de ces deux candidats qui aurait à affronter le Rassemblement national au second tour et tout inciterait le centre et la gauche à conclure un accord de désistement voire même un programme de gouvernement.
C’est un candidat d’union du centre et de la gauche qui affronterait celui de l’extrême-droite. La nouveauté changerait de camp et presque assurée aujourd’hui, la victoire du RN deviendrait plus qu’incertaine.
Cette carte blanche est porteuse d’une dynamique susceptible de refaçonner l’échiquier français. Face à l’extrême-droite, elle pourrait structurer un camp de la démocratie mais rien n’est malheureusement fait.
Il n’est pas encore prouvé que les socialistes sachent jusqu’où ne pas aller trop loin dans leurs demandes et que le Premier ministre puisse, lui, leur faire assez de concessions pour les convaincre d’aller à un accord. Il n’est pas dit non plus qu’Emmanuel Macron puisse se résoudre à vraiment laisser les mains libres à son Premier ministre. Il n’est absolument pas certain surtout que le centre et les socialistes sachent utiliser les dix-huit mois de stabilité qu’ils auraient offerts à la France pour préparer les propositions communes qu’ils devraient avancer ensemble au second tour.
Rien n’est joué. Tout est à faire mais cette crise a ouvert le champ des possibles.
Photo : Lorie Shaull @Wikimedia Commons