Je serais lui, je m’inquièterais

Tribune publiée dans Libération le 27 octobre 2025.

Les voyants rouges s’allument au Kremlin. Un temps soutenue par les commandes militaires, la croissance économique de la Russie recule aujourd’hui et semble devoir atteindre son point zéro. Les prix à la consommation continuent, eux, d’augmenter. La crainte de l’inflation maintient les taux d’intérêt au-dessus de 20%, niveau évidemment contraire à l’investissement mais là n’est pourtant le plus grave pour Vladimir Poutine.

Malgré l’attrait des contrats qu’elle propose, l’armée a maintenant du mal à recruter. Même dans les régions les plus pauvres de la Fédération, même dans ce vivier qui semblait inépuisable, les primes ne font plus oublier qu’il y a bien plus de morts au combat que d’anciens combattants de retour et puis il y a ce front qui ne bouge pas.

Les cartes disent tout. Il y aura bientôt quatre ans que les troupes russes sont entrées en Ukraine mais entre la ligne de front et les régions dont Vladimir Poutine avait déjà pris le contrôle avant 2022 sous couvert de mouvements séparatistes pro-russes la différence ne tient qu’à un trait rouge, pas plus épais que la mine qui le trace.

Les troupes du Kremlin ne reculent plus mais elles n’avancent pas non plus. La Russie n’a pas su opérer une seule percée territoriale malgré son avantage en armes et en hommes. Ses navires ont dû se réfugier dans leurs ports d’attache faute de pouvoir faire face aux drones de la marine ukrainienne.

Bien loin de l’offensive éclair qu’il avait conçue, Vladimir Poutine a dû se résigner à une guerre de positions dont on voit mal la fin tant les champs de mines séparant désormais les combattants sont aussi larges qu’infranchissables. Son armée en est réduite à bombarder des quartiers d’habitation pour tenter de diviser les Ukrainiens en brisant leur moral mais pour lui, le pire est encore ailleurs.

Voilà un dirigeant russe qui avait la chance inouïe que le président des Etats-Unis soit un ami politique et, mieux encore, son obligé. Non seulement Donald Trump n’avait aucune raison d’oublier que Vladimir Poutine avait ardemment souhaité et facilité sa première élection mais il admirait chez lui son rejet de la démocratie. Ces deux hommes partageaient de surcroît un même désir d’affaiblir l’Union européenne que l’un considère comme une rivale économique à abattre et l’autre commun un obstacle à la reconstitution de l’Empire des tsars.

Tout les unissait si bien que par-dessus la tête des Européens et bien entendu des Ukrainiens, Donald Trump avait proposé à son ami Vladimir un plan de paix qui lui aurait permis de sauver la face, de reconstituer ses forces et de repartir à l’assaut de l’Ukraine et de ses voisins sous cinq ou six ans.

C’était un cadeau inespéré, sans contrepartie et incroyablement avantageux car le président américain espérait par-là détacher la Russie de la Chine et donc modifier son rapport de forces avec Pékin.

Tout autre que Vladimir Poutine aurait accepté mais il a, lui, préféré refuser car il est convaincu que les Occidentaux ne sont que des lavettes décadentes dont il peut ne faire qu’une bouchée. Les Européens ne sont rien, pense-t-il. Quant à Trump, se disait-il, je le retourne en une heure de flatteries mais Donald Trump se sent aujourd’hui humilié par le Kremlin et les Européens n’ont cessé de renforcer et internationaliser leur soutien à l’Ukraine.

Vladimir Poutine va très probablement tenter de recoller les morceaux avec son ami Donald. Il n’est pas même impossible qu’il y parvienne un temps mais les Européens, bien trop lentement mais sûrement, s’affirment en puissance politique et militaire et, pour l’heure, les Etats-Unis ont sanctionné les deux plus grandes compagnies pétrolières russes.

Le rouble et le Bourse de Moscou ont accusé le coup et pour un homme dont l’économie comme les armées marquaient déjà le pas, c’était une erreur de trop, évitable, coûteuse et aussi dommageable pour la Russie que pour lui-même. Sa chute n’a rien d’imminent mais à sa place, je m’inquièterais.

Photo par Remy Steinegger ©World Economic Forum

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Je serais lui, je m’inquièterais

Tribune publiée dans Libération le 27 octobre 2025.

Les voyants rouges s’allument au Kremlin. Un temps soutenue par les commandes militaires, la croissance économique de la Russie recule aujourd’hui et semble devoir atteindre son point zéro. Les prix à la consommation continuent, eux, d’augmenter. La crainte de l’inflation maintient les taux d’intérêt au-dessus de 20%, niveau évidemment contraire à l’investissement mais là n’est pourtant le plus grave pour Vladimir Poutine.

Malgré l’attrait des contrats qu’elle propose, l’armée a maintenant du mal à recruter. Même dans les régions les plus pauvres de la Fédération, même dans ce vivier qui semblait inépuisable, les primes ne font plus oublier qu’il y a bien plus de morts au combat que d’anciens combattants de retour et puis il y a ce front qui ne bouge pas.

Les cartes disent tout. Il y aura bientôt quatre ans que les troupes russes sont entrées en Ukraine mais entre la ligne de front et les régions dont Vladimir Poutine avait déjà pris le contrôle avant 2022 sous couvert de mouvements séparatistes pro-russes la différence ne tient qu’à un trait rouge, pas plus épais que la mine qui le trace.

Les troupes du Kremlin ne reculent plus mais elles n’avancent pas non plus. La Russie n’a pas su opérer une seule percée territoriale malgré son avantage en armes et en hommes. Ses navires ont dû se réfugier dans leurs ports d’attache faute de pouvoir faire face aux drones de la marine ukrainienne.

Bien loin de l’offensive éclair qu’il avait conçue, Vladimir Poutine a dû se résigner à une guerre de positions dont on voit mal la fin tant les champs de mines séparant désormais les combattants sont aussi larges qu’infranchissables. Son armée en est réduite à bombarder des quartiers d’habitation pour tenter de diviser les Ukrainiens en brisant leur moral mais pour lui, le pire est encore ailleurs.

Voilà un dirigeant russe qui avait la chance inouïe que le président des Etats-Unis soit un ami politique et, mieux encore, son obligé. Non seulement Donald Trump n’avait aucune raison d’oublier que Vladimir Poutine avait ardemment souhaité et facilité sa première élection mais il admirait chez lui son rejet de la démocratie. Ces deux hommes partageaient de surcroît un même désir d’affaiblir l’Union européenne que l’un considère comme une rivale économique à abattre et l’autre commun un obstacle à la reconstitution de l’Empire des tsars.

Tout les unissait si bien que par-dessus la tête des Européens et bien entendu des Ukrainiens, Donald Trump avait proposé à son ami Vladimir un plan de paix qui lui aurait permis de sauver la face, de reconstituer ses forces et de repartir à l’assaut de l’Ukraine et de ses voisins sous cinq ou six ans.

C’était un cadeau inespéré, sans contrepartie et incroyablement avantageux car le président américain espérait par-là détacher la Russie de la Chine et donc modifier son rapport de forces avec Pékin.

Tout autre que Vladimir Poutine aurait accepté mais il a, lui, préféré refuser car il est convaincu que les Occidentaux ne sont que des lavettes décadentes dont il peut ne faire qu’une bouchée. Les Européens ne sont rien, pense-t-il. Quant à Trump, se disait-il, je le retourne en une heure de flatteries mais Donald Trump se sent aujourd’hui humilié par le Kremlin et les Européens n’ont cessé de renforcer et internationaliser leur soutien à l’Ukraine.

Vladimir Poutine va très probablement tenter de recoller les morceaux avec son ami Donald. Il n’est pas même impossible qu’il y parvienne un temps mais les Européens, bien trop lentement mais sûrement, s’affirment en puissance politique et militaire et, pour l’heure, les Etats-Unis ont sanctionné les deux plus grandes compagnies pétrolières russes.

Le rouble et le Bourse de Moscou ont accusé le coup et pour un homme dont l’économie comme les armées marquaient déjà le pas, c’était une erreur de trop, évitable, coûteuse et aussi dommageable pour la Russie que pour lui-même. Sa chute n’a rien d’imminent mais à sa place, je m’inquièterais.

Photo par Remy Steinegger ©World Economic Forum

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