Tribune publiée dans Libération le 4 novembre 2025.
Dos au mur, il a retrouvé la mémoire. Face à une Chine qui l’a fait plier sur les droits de douane en menaçant d’interdire l’exportation de terres rares vers les Etats-Unis, Donald Trump s’est soudain souvenu qu’il avait des alliés qu’on disait hier « occidentaux ».
A l’issue d’une réunion du G7, son ministre de l’énergie a donc acté avec les ministres japonais et canadien, français, allemand, britannique et italien la création, vendredi dernier, à Toronto, d’une Alliance pour la production des minéraux critiques. Même si son nom n’est pas prononcé, il s’agit là de briser le quasi-monopole que la Chine a su s’assurer en extrayant 60% de ces minéraux et en en raffinant, surtout, 90% de la production mondiale.
Les investissements demandés sont considérables. Il faudra des années aux pays du G7 pour rattraper le temps perdu mais l’essentiel est que le rapport de forces instauré par Xi Jinping a entrouvert les yeux de l’homme qui disait encore, le 27 février dernier : « l’Union européenne a été créée pour arnaquer les Etats-Unis ». Non seulement Donald Trump oubliait alors que l’unité européenne avait eu pour double objectif, encouragé par Washington, d’en finir avec des siècles de guerre et d’organiser un front commun face à l’URSS mais il avait tout fait depuis pour nuire à l’Union et tenter de se rapprocher du Kremlin.
Il y n’y eut pas que l’imposition de droits de douane sur les produits européens. Il y eut aussi l’humiliation de Volodymyr Zelenski dans le bureau ovale, le discours du vice-président Vance à Munich accusant l’Europe de tous les maux, la volonté affichée d’annexer le Groenland, le règlement de paix proposé à Poutine par-dessus la tête des Ukrainiens et le si militant et constant soutien politique aux extrêmes-droites européennes et notamment à l’Alternative für Deutschland.
La liste n’est pas exhaustive et toute la question est ainsi de savoir si Toronto amorce un tournant ou n’est que l’exception qui confirme la règle.
D’un côté, Donald Trump a toutes les raisons de préférer qu’il y ait 27 Europe plutôt qu’une. Avec ses 450 millions d’habitants, son pouvoir d’achat, sa richesse et ses Universités, l’Union est effectivement le plus sérieux des concurrents économiques des Etats-Unis. Si elle parvient à maintenir son soutien à l’Ukraine et à donner corps à son projet de Défense commune, elle deviendra aussi un concurrent stratégique et ce n’est pas tout. Avec son niveau de protection sociale et de redistribution fiscale, elle est également un modèle socio-politique que ce président et ses amis veulent détruire car il est, à leurs yeux, l’exemple que le monde ne doit pas suivre.
D’un autre côté, Donald Trump vient de découvrir que Vladimir Poutine pouvait dédaigner la main qu’il lui tendait et, pire encore, que Xi Jinping pouvait relativiser la toute-puissance américaine à la face du monde. Plus les mois passeront, plus Donald Trump devra comprendre que les Etats-Unis font face à une Chine qui entend prendre, avec le soutien de la Russie, une revanche historique sur l’Occident euraméricain. Ce n’est autrement dit pas une petite bataille qui s’annonce et avec un front intérieur qu’il ne cesse de diviser, Donald Trump pourrait bientôt ressentir une grande solitude car qui voudra se ranger à ses côtés dans cette bataille forcément coûteuse et difficile ?
Après avoir si brutalement malmené le Canada, le Mexique et le Brésil, suscité tant d’inquiétudes en Asie et si profondément trahi les Européens en voulant s’entendre sur leur dos avec le Kremlin, Donald Trump aura beaucoup de gens à rassurer pour trouver les soutiens qui lui seront nécessaires. Il lui faudra faire oublier que, dans sa bouche, les Mexicains étaient le mal absolu et le Canada promis à l’annexion. Il lui faudra surtout partager avec les Européens le poids de l’aide à l’Ukraine et accepter que l’augmentation de leurs dépenses militaires ne profitent pas à des entreprises américaines mais européennes.
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