Ne pariez pas Trump

Tribune publiée dans Libération le 16 décembre 2025.

Donald Trump peut l’emporter. On ne peut pas exclure qu’il puisse finir par imposer une reddition à l’Ukraine et s’entendre avec Vladimir Poutine sur un partage de l’Europe en zones d’influence mais ce n’est pas fait.

Ca ne l’est pas car la seule arme dont il dispose serait d’un emploi bien dangereux. D’un clic, il peut couper l’accès des Ukrainiens au renseignement militaire américain. L’Ukraine n’aurait alors plus les moyens de parer les attaques russes. C’en serait bientôt fini de la liberté de ce peuple et de son indépendance. Les troupes de Vladimir Poutine aurait tôt fait de camper aux frontières de la Pologne, de la Roumanie, de la Moldavie, de la Hongrie et de la Slovaquie. Les Américains et le monde assisteraient en direct au désastre politique dont Donald Trump serait l’auteur et, face au Congrès, aux Européens et à tous les alliés des Etats-Unis à travers le monde, il aurait bien du mal à justifier une telle débâcle et l’assassinat de ce peuple fuyant sous les bombes.

Cela lui serait d’autant moins facile que cette victoire de Vladimir Poutine serait aussi celle de la Chine, que la campagne pour les élections de mi-mandat va commencer en janvier, autrement dit demain matin, et que les Républicains commencent à moins craindre les foudres de Donald Trump que les défaites électorales dont sa dégringolade dans les sondages est toujours plus porteuse.

Il est des armes dont il est prudent de ne pas user et la deuxième raison pour laquelle la Maison-Blanche n’a pas déjà gagné est que l’Ukraine et les Européens jouent finement. Au lieu de dénoncer dans les propositions américaines la simple transcription qu’elles sont des exigences russes, Kiev, Paris, Londres et Berlin remercient Donald Trump d’« œuvrer à la paix », acceptent de débattre de son plan, s’empressent même de le faire mais en formulant des amendements qui le modifient du tout au tout.

Là où ce plan demandait aux Ukrainiens de se retirer de régions du Donbass que les Russes n’ont pas su conquérir, Volodymyr Zelenski et ses négociateurs proposent que Russes et Ukrainiens – les deux et non plus les seuls Ukrainiens – reculent assez pour que soit créée une vaste zone démilitarisée dont les Etats-Unis contribueraient à assurer la surveillance, avec d’autres et notamment les Européens.

Ainsi reformulée, la proposition russo-américaine obligerait Donald Trump à garantir la sécurité de l’Ukraine aux côtés de l’Union européenne et du Royaume-Uni, autrement dit à défendre l’Ukraine contre Vladimir Poutine. Ce n’était pas l’intention initiale de la Maison-Blanche et moins encore celle de Moscou. C’est en fait le contraire de ce que souhaitaient les présidents russe et américain et lorsque Donald Trump demande, à l’instar du Kremlin, l’organisation d’élections en Ukraine, Volodymyr Zelenski ne refuse pas non plus.

Il accepte, approuve, mais pour peu, bien sûr, que les Etats-Unis aident à assurer le bon déroulement du scrutin qui ne se concevrait pas ­– n’est-ce pas ? – sans un cessez-le-feu, sans un arrêt des combats sur l’actuelle ligne de front, c’est-à-dire ce dont ne veut pas Vladimir Poutine.

Pris dans un tissu d’embrassades et de contre-propositions bien difficiles à rejeter sans ouvertement s’afficher en auxiliaire du Kremlin, Donald Trump est largement une puissance enchaînée.

Quant à la troisième raison pour laquelle il n’a pas déjà gagné, elle est que l’armée russe ne progresse pas. Ses avancées ne sont que millimétriques et infiniment lentes. Elle n’opère pas de percées permettant à Vladimir Poutine de proclamer quelque victoire que ce soit et, plus important encore, les forces ukrainiennes parviennent à frapper toujours plus de navires, de stocks d’armes et de raffineries de pétrole russes. Chaque nuit, les Ukrainiens plongent dans le sang, le noir et le froid mais les Russes ont commencé à souffrir de cette guerre qui essouffle aussi leur économie.

S’il fallait parier, ce ne serait pas sur Trump.

( Photo : President of Ukraine @Flickr )

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Ne pariez pas Trump

Tribune publiée dans Libération le 16 décembre 2025.

Donald Trump peut l’emporter. On ne peut pas exclure qu’il puisse finir par imposer une reddition à l’Ukraine et s’entendre avec Vladimir Poutine sur un partage de l’Europe en zones d’influence mais ce n’est pas fait.

Ca ne l’est pas car la seule arme dont il dispose serait d’un emploi bien dangereux. D’un clic, il peut couper l’accès des Ukrainiens au renseignement militaire américain. L’Ukraine n’aurait alors plus les moyens de parer les attaques russes. C’en serait bientôt fini de la liberté de ce peuple et de son indépendance. Les troupes de Vladimir Poutine aurait tôt fait de camper aux frontières de la Pologne, de la Roumanie, de la Moldavie, de la Hongrie et de la Slovaquie. Les Américains et le monde assisteraient en direct au désastre politique dont Donald Trump serait l’auteur et, face au Congrès, aux Européens et à tous les alliés des Etats-Unis à travers le monde, il aurait bien du mal à justifier une telle débâcle et l’assassinat de ce peuple fuyant sous les bombes.

Cela lui serait d’autant moins facile que cette victoire de Vladimir Poutine serait aussi celle de la Chine, que la campagne pour les élections de mi-mandat va commencer en janvier, autrement dit demain matin, et que les Républicains commencent à moins craindre les foudres de Donald Trump que les défaites électorales dont sa dégringolade dans les sondages est toujours plus porteuse.

Il est des armes dont il est prudent de ne pas user et la deuxième raison pour laquelle la Maison-Blanche n’a pas déjà gagné est que l’Ukraine et les Européens jouent finement. Au lieu de dénoncer dans les propositions américaines la simple transcription qu’elles sont des exigences russes, Kiev, Paris, Londres et Berlin remercient Donald Trump d’« œuvrer à la paix », acceptent de débattre de son plan, s’empressent même de le faire mais en formulant des amendements qui le modifient du tout au tout.

Là où ce plan demandait aux Ukrainiens de se retirer de régions du Donbass que les Russes n’ont pas su conquérir, Volodymyr Zelenski et ses négociateurs proposent que Russes et Ukrainiens – les deux et non plus les seuls Ukrainiens – reculent assez pour que soit créée une vaste zone démilitarisée dont les Etats-Unis contribueraient à assurer la surveillance, avec d’autres et notamment les Européens.

Ainsi reformulée, la proposition russo-américaine obligerait Donald Trump à garantir la sécurité de l’Ukraine aux côtés de l’Union européenne et du Royaume-Uni, autrement dit à défendre l’Ukraine contre Vladimir Poutine. Ce n’était pas l’intention initiale de la Maison-Blanche et moins encore celle de Moscou. C’est en fait le contraire de ce que souhaitaient les présidents russe et américain et lorsque Donald Trump demande, à l’instar du Kremlin, l’organisation d’élections en Ukraine, Volodymyr Zelenski ne refuse pas non plus.

Il accepte, approuve, mais pour peu, bien sûr, que les Etats-Unis aident à assurer le bon déroulement du scrutin qui ne se concevrait pas ­– n’est-ce pas ? – sans un cessez-le-feu, sans un arrêt des combats sur l’actuelle ligne de front, c’est-à-dire ce dont ne veut pas Vladimir Poutine.

Pris dans un tissu d’embrassades et de contre-propositions bien difficiles à rejeter sans ouvertement s’afficher en auxiliaire du Kremlin, Donald Trump est largement une puissance enchaînée.

Quant à la troisième raison pour laquelle il n’a pas déjà gagné, elle est que l’armée russe ne progresse pas. Ses avancées ne sont que millimétriques et infiniment lentes. Elle n’opère pas de percées permettant à Vladimir Poutine de proclamer quelque victoire que ce soit et, plus important encore, les forces ukrainiennes parviennent à frapper toujours plus de navires, de stocks d’armes et de raffineries de pétrole russes. Chaque nuit, les Ukrainiens plongent dans le sang, le noir et le froid mais les Russes ont commencé à souffrir de cette guerre qui essouffle aussi leur économie.

S’il fallait parier, ce ne serait pas sur Trump.

( Photo : President of Ukraine @Flickr )

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