Il y a, c’est vrai, toutes les raisons d’avoir peur. Il y a dans l’air comme un parfum d’avant-guerre mais en est-on vraiment revenu aux années trente ?

Avec l’Ukraine et Gaza en toile de fond, on le serait si les électeurs américains n’avaient pas refusé un second mandat à Donald Trump il y a trois ans, si les Polonais ne venaient pas de chasser du pouvoir une droite réactionnaire, si les Espagnols n’avaient pas préféré reconduire les socialistes que passer les commandes à une droite dure, si Geert Wilders pouvait s’appuyer sur une majorité parlementaire et non pas sur à peine un quart des députés néerlandais ou si Javier Milei avait les moyens d’appliquer son programme de démantèlement de l’Etat argentin dont ni le Parlement ni les régions ne veulent.

La place que les nouvelles extrêmes-droites ont prise en Europe et dans le monde est déjà suffisamment inquiétante pour qu’il ne soit pas nécessaire d’aller les croire et les dire irrésistibles alors qu’elles ne le sont pas. Elles sont, au contraire, incohérentes et contradictoires car, opposées ou non à l’évolution des mœurs et au droit à l’avortement, tantôt libertariennes, tantôt conservatrices, elles sont de surcroît divisées entre partisans d’une pleine liberté du marché et défenseurs d’un rôle économique de l’Etat.

Ces nouvelles extrêmes-droites ont même été incapables de s’unir au Parlement européen où elles ont constitué des groupes politiques distincts : Identité et démocratie, maison commune de la Lega italienne et du Rassemblement national français, et les Conservateurs et réformistes européens où l’on retrouve le PiS polonais et le parti de Georgia Meloni. Ces deux groupes ont en commun leur xénophobie, leur détestation des gauches, leur rejet des lois et traités protégeant les droits de l’homme et, donc, leur hostilité aux Cours constitutionnelles en charge de les faire respecter. C’est ce qui les place tous deux à l’extrême-droite mais alors que le premier reste profondément europhobe et ne s’est résolu à prendre ses distances avec Vladimir Poutine que lentement et à bas bruit, le second est atlantiste, plus eurosceptique qu’europhobe, avant tout réactionnaire et vent debout contre l’intervention russe en Ukraine.

Bien incapables de faire prévaloir des politiques communes, ces deux groupes sont de surcroît loin de pouvoir obtenir, même ensemble, une majorité dans l’Union mais le danger qu’ils représentent est pourtant grand.

S’ils progressaient vraiment aux européennes de juin prochain, ils pourraient bloquer ou ralentir de décisions de l’Union en s’assurant le soutien des courants les plus durs du Parti populaire. Vladimir Poutine aurait alors toute possibilité de s’entendre, sur le dos des Européens, avec un Trump revenu au pouvoir ou même avec des Démocrates lassés de ces complications européennes. Les nationalistes sont les plus grands ennemis des nations européennes mais il n’est nullement impossible de les contrer.

Prenons Mme Le Pen et ses amis. Ils ne disent plus que l’Union européenne serait une « prison des peuples » dont il faudrait sortir au plus vite. Ils ne le disent plus car l’instabilité internationale a convaincu comme jamais les citoyens européens de la nécessité de leur unité mais cela n’empêche pas les lepénistes d’applaudir un homme, Geert Wilders, qui voudrait faire sortir son pays de l’Union.

Ou bien ces gens mentent sur leurs vraies intentions ou bien ils font le mauvais choix, comme à leur habitude, le pire des choix. Peu de temps avant que Donald Trump n’impose de droits de douane à nos industries et ne menace de refermer le parapluie américain, Mme Le Pen était allée vainement chercher son onction jusqu’au pied de la Trump Tower à New York. Elle était ensuite allée à Moscou demander et obtenir celle de Vladimir Poutine et ses amis avaient voté contre l’emprunt européen destiné à relancer nos économies malmenées par la pandémie, contre l’intérêt des 450 millions de citoyens européens.

Trois choix catastrophiques en une poignée d’années sur trois sujets essentiels, tel est le bilan du Rassemblement national et un triomphe électoral de ces incapables, obsédés de la marche arrière et joueurs de bonneteau, serait inévitable ?

Allons ! La bataille contre les extrêmes-droites est tout sauf perdue. Les Wilders, Salvini et autres Le Pen sont loin de prendre les commandes de l’Union car il suffit à la démocratie chrétienne, aux centristes, aux Verts et à la social-démocratie, à tous les démocrates, de relever le gant, là, maintenant, et faire front.

Paru le 27 novembre dans Libération

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/en-europe-et-dans-le-monde-la-si-resistible-ascension-de-lextreme-droite-par-bernard-guetta-20231127_GJRGYYXU6RF45DOG2RME5MJ4ZM/?redirected=1&redirected=1

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