Viktor Orban lui-même le comprend. « L’Europe, vient-il de dire dans une interview au Point, doit être capable de se défendre par ses propres forces ». Il le dit après avoir pourfendu à longueur de colonnes le « centralisme » de l’Union européenne, après avoir appelé de ses vœux au rassemblement des deux courants de l’extrême-droite pour qu’elle puisse peser au Parlement, après avoir, en un mot, dit toute son hostilité à l’Union mais « dans le domaine de la sécurité, constate-t-il, nous devrions être plus centralisés ».
Alors passons sur la complète contradiction qu’il y a à vouloir « décentraliser » l’Union tout en appelant au resserrement de ses rangs dans un domaine aussi décisif que celui de la Défense et ne craignons pas de reconnaitre que, là, sur ce point, Viktor Orban a raison. Il parle même d’autant plus juste qu’il propose de nous y atteler sans attendre et en commençant par constituer des industries paneuropéennes d’armement.
Il ne nous faut, en effet, plus perdre une heure puisque les chaos des autres rives de la Méditerranée ne sont pas près de retomber ; que nous en subirons toujours plus les conséquences ; que Vladimir Poutine ne renoncera pas de sitôt à couper d’Ukraine en deux avant de poursuivre sa tentative de reconstruction de l’Empire russe ; que tous les voyants rouges s’allument en Chine où Xi Jinping pourrait maintenant vouloir contourner ses difficultés intérieures en attaquant Taïwan et que Donald Trump, l’homme qui avait fait prendre d’assaut le Congrès, pourrait bien être réélu en novembre prochain.
Tout peut changer en onze mois mais tous les sondages le donnent aujourd’hui gagnant et l’on sait, car il n’en fait pas mystère, ce qu’il ferait vis-à-vis de nous, les Européens. Il arrêterait bien vite tout aide à l’Ukraine, s’entendrait avec Vladimir Poutine en prenant son parti de l’annexion du Donbass et de la Crimée et ferait tout pour décrédibiliser l’Alliance atlantique et la tuer. Son objectif serait ainsi d’éloigner Moscou de Beijing et de s’appuyer sur la Russie pour affaiblir d’un coup la Chine et l’Union européenne qu’il regarde, l’une autant que l’autre, comme des rivaux économiques à combattre.
Sans autre véritable armée que l’armée française qui ne suffirait pas à la défendre, l’Union se retrouverait en conséquence nue, sans plus de parapluie américain et sans Défense propre, alors que tout la menace à ses frontières orientale et méditerranéennes.
Il y a urgence.
Il nous faut une Défense qui ne s’affirmera pas, Viktor Orban voit juste, sans que nous ne mettions nos moyens en commun pour ne plus dépendre des fournitures d’armes américaines. Capitaux et excellence d’un savoir-faire dans toutes les armes, nous avons toutes les possibilités de créer un ou plusieurs Airbus de l’armement mais là où le Premier ministre hongrois se trompe totalement est que nous ne le ferons pas sans faire de l’Union une union politique et sans l’élargir.
Lorsque Viktor Orban refuse que l’Union ouvre ses portes à l’Ukraine et menace même d’y mettre son veto, il ne voit pas qu’en tournant le dos à ce pays agressé au cœur de l’Europe, nous briserions le moral des Ukrainiens et dirions à Vladimir Poutine que l’Ukraine lui appartient bel et bien et que ses troupes peuvent donc marcher jusqu’à nos frontières.
Viktor Orban et tous ceux qui à l’extrême-droite, à droite, au centre et à gauche, prônent sans le dire mais clairement d’abandonner l’Ukraine ne comprennent pas qu’en faisant cela nous ferions immédiatement éclater l’Union et nous mettrions dans la main les uns des Etats-Unis, les autres de Vladimir Poutine et d’autres encore de la Chine ou de la Turquie – que l’Europe, en un mot, se laisserait effacer de la carte.
On ne peut pas à la fois, M. Orban, appeler à une Défense commune et plier l’échine, le dos et le genou face à un homme qui n’aurait alors aucune raison de s’arrêter à Kiev.