Ça me prend régulièrement. J’en ai honte car c’est une idée franchement tordue et totalement inavouable mais voilà, me dis-je, si Trump était réélu, massivement, clairement, indiscutablement, cela présenterait beaucoup d’avantages.

N’arrêtez pas de lire ! Non ! Ne brisez pas votre écran, ne piétinez pas votre journal ! Je ne suis devenu ni fou ni d’extrême-droite. Je veux simplement dire, d’abord, que les Etats-Unis éviteraient ainsi un blocage institutionnel pouvant mener jusqu’à une guerre civile car, si le vainqueur était Biden, Donald Trump n’accepterait jamais sa défaite. Il y a déjà des mois qu’il explique que le vote par correspondance occasionnera une fraude massive et que les vrais résultats ne seront jamais connus.

Il oubliera tout cela s’il gagne mais, désavoué par les électeurs, il brandirait ce qu’il a semé pour se proclamer réélu, refuserait de quitter la Maison-Blanche et lancerait assez de bombes incendiaires pour finalement laisser un pays tellement ivre de ressentiments qu’il serait bien difficile de le réunir et de lui éviter une explosion de violences politiques.

Cette Amérique-là serait le plus royal des cadeaux pour M. Xi et M. Poutine, pour tous les fauteurs de troubles régionaux et tous les idéologues du déclin de la démocratie. Pensez une seule seconde au bonheur de tous ces gens devant les Etats-Unis échoués sur le sable et vous partagerez d’autant plus mes inavouables pensées que les contre-pouvoirs américains sont tout de même assez forts pour tenir quatre ans de plus face à Trump et que pour l’Union européenne, eh bien…

Disons les choses.

Sans Trump, les tabous de la Défense européenne et de la politique industrielle commune ne seraient pas tombés aussi vite. Il a suffi à cet homme d’un mandat pour s’affirmer en père refondateur de l’Europe sans lequel, Covid ou pas, la nouvelle Commission ne se serait pas dite « géopolitique » et les Etats-membres auraient mis bien plus de quatre jours pour faire tomber un troisième tabou, les emprunts communs pour le financement d’investissements communs.

Alors enlevez Trump, remplacez-le par un Démocrate aussi rassurant que Joe Biden, et vous entendrez bien des capitales expliquer aussitôt que le retrait américain n’aura été qu’un moment d’aberration et que le retour à la normale transatlantique dispense les Européens de l’aventure d’une Défense commune, si couteuse et pouvant si vite précipiter l’Union dans l’abîme fédéral.

Ces mauvaises pensées, je les ressassais encore la nuit dernière mais, maintenant que je les mets en forme, sujet, verbe, complément, non ! Elles ne sont que dérapages nocturnes car la réalité est tout autre.

M. Trump est un matamore incendiaire mais tout, sauf un courageux. La peur de la prison et des grands déballages que provoquerait son procès auront tôt fait de le dissuader d’aller trop loin dans la sédition. Il s’inclinerait finalement devant sa défaite et au lieu d’avoir quatre années supplémentaires d’incitation aux antagonismes raciaux, de connivence avec les dictateurs, de démantèlement de l’Alliance atlantique, d’impéritie générale, de mensonges éhontés, de nomination de juges réactionnaires et de vulgarité quotidienne, nous aurions le retour de l’Amérique, de la vraie, inventive et attachée à ses principes, démocrate et fidèle alliée des démocraties européennes.

Vous, je ne sais pas mais moi, tout bien considéré, je préfère le risque d’une contestation des résultats à celui d’une réélection de ce triste sortant qui a déjà fait tant de mal au monde et à son pays mais…

Non ! Ce n’est pas ce que vous croyez. Je ne vais pas en revenir à mes mauvais raisonnements du début mais le problème est qu’il n’y a guère de raison de croire au retour de la véritable Amérique, celle qu’on a tant aimée, celle de Roosevelt, du mouvement des droits civiques et de la révolution sexuelle, de l’élection d’Obama et de la protection de l’Europe durant toute la guerre froide.

Le pivot vers l’Asie ne date pas de Donald Trump mais du second mandat de Georges W. Bush. Le désengagement du Proche-Orient remonte au refus de Barack Obama d’aller anéantir l’aviation de Bachar el-Assad après qu’il eut, pour la première fois, recouru à l’arme chimique. La cassure de la société américaine, surtout, est l’aboutissement d’un lent processus entamé, dès les années soixante, par l’effroi que le féminisme, le recul de la ségrégation et la montée de l’immigration hispanique provoquaient dans la moitié la plus conservatrice du pays dont Donald Trump a si bien su se faire le héraut. 

La crise américaine n’en est qu’à ses débuts car cette cassure des sixties a été approfondie par la mondialisation des échanges et la désindustrialisation qu’elle a induite. Une Amérique veut sa revanche et si Donald Trump, qui fut démocrate, incarne désormais la droite de la droite républicaine, c’est que l’extrême-droite n’a plus rien de marginal aux Etats-Unis.

C’est avec un pays polarisé, tourné sur lui-même et obsédé par sa rivalité avec la Chine, que nous les Européens auront de toute manière à traiter. Avec Trump, l’espoir est que nous choisissions définitivement l’affirmation de l’Union en acteur souverain de la scène internationale. Avec Biden, l’avantage est que nous pourrions le faire non pas en renonçant à une alliance prenant l’eau mais en négociant, entre alliés, une nouvelle répartition des responsabilités dans le cadre d’une redéfinition de la solidarité atlantique. Rendez-vous dans sept semaines. 

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