Le procès est en cours. Il y a bientôt trois semaines que matin, midi et soir les Français revivent la tuerie de Charlie Hebdo sur toutes leurs chaînes d’information. Cinq ans après, chaque témoignage tord le ventre et c’est là-dessus qu’un jeune Pakistanais se jette, vendredi matin, sur deux personnes sorties fumer au pied de ce qui avait été le siège de Charlie et les blesse avec un couteau de boucher avant de s’enfuir couvert de sang et d’être bientôt arrêté.

Ce nouvel attentat était si peu préparé que l’assaillant, un amateur, ignorait que cet immeuble n’était plus celui de Charlie mais quel choc, psychologique et politique !

Ça recommençait. Cela ne finirait donc jamais. Que faire ?

Plus qu’horrifiée, la France a peur et ne parle plus, depuis, que de la menace djihadiste qu’on dit « islamiste » quand on ne la qualifie pas, plus simplement, « d’islamique » ou de « musulmane ». L’atmosphère est lourde, très lourde, si lourde que retentissent de partout les appels à hausser le ton, à « nommer les choses » et à prendre conscience qu’il n’y aurait pas, aujourd’hui, de plus grand dangers pour l’Europe que ce terrorisme et la possibilité du « grand remplacement », celui des chrétiens par des musulmans. Toute tentative de nuancer les choses est aussitôt mise sur le compte de la « naïveté » ou d’une lâcheté et l’on entend désormais des gens modérés et parfaitement cultivés asséner qu’il y aurait une « incompatibilité entre l’islam et nos valeurs », celle de tolérance et de liberté.

 Alors, non !

Au temps de l’Inquisition, aurait-il fallu dire qu’il y avait incompatibilité entre le christianisme et le respect de la personne humaine ? Et quand l’Eglise se demandait, en toute bonne foi, si les Indiens du nouveau monde avaient une âme, cela  prouvait-il que le catholicisme était en lui-même dépourvu d’humanité ?

Poser ces deux questions, c’est y répondre. Toute religion, y compris celle de l’amour de l’autre, a eu ses heures sombres, ses prédicateurs fous et ses moments de fanatisme mais ce n’est pas tout.

Ces Français, et combien d’autres Européens avec eux, qui ne voient que terreur et sauvagerie dans l’islam ignorent-ils qu’il y eut dans l’oumma, pendant de longs siècles, infiniment plus de tolérance que dans la chrétienté ? Ont-ils oublié ce que fut la barbarie des croisades ? Ne savent-ils pas que c’est grâce à l’islam et à ses érudits ouverts à tout courant d’idées que les textes de la philosophie grecque nous sont parvenus ? Ignorent-ils aussi ce que nous devons à la médecine et aux mathématiques arabes ?

En un mot, en est-on au point qu’il faille rappeler, redire, marteler que l’islam rayonnait d’une brillante civilisation quand l’Europe chrétienne s’était enfoncée dans les ténèbres et qu’on ne peut pas condamner comme incompatible avec la liberté la religion qui avait porté tant de sciences, d’art et de poésie, y compris érotique ?

Oui, c’est vrai, dira-t-on, mais c’était il y a bien longtemps et aujourd’hui…

Eh bien aujourd’hui, les mondes musulmans, c’est un fait, sont en chaos. Ils cherchent à échapper tout à la fois à leurs dictatures, à leurs retards et à une prééminence occidentale dont ils ont rarement eu à se féliciter. Comme la Chine ou la Russie, ils espèrent un retour aux premiers rangs de la scène internationale et cela donne aussi bien les délires sanguinaires d’Al-Qaeda et de l’Etat islamique que ces immenses manifestations du printemps arabe de 2011, lorsque ces peuples ne descendaient pas dans la rue, sous les balles, en faveur de la charia mais de l’Etat de droit, des libertés et de la démocratie.

Ces chaos des mondes musulmans font peur car ils constituent une véritable et terrifiante menace mais avant de faire de l’islam l’ennemi à combattre, souvenons-nous que les premières victimes, en nombre, du terrorisme islamiste sont des musulmans ; que le rêve des djihadistes est de nous conduire à déclarer à l’islam une guerre qu’ils sont convaincus de pouvoir remporter et que les tueurs de Charlie, ceux d’hier et d’aujourd’hui, ne doivent pas faire oublier que l’intégration marche, en France comme dans tout le reste de l’Europe.

Aux guichets des banques, de la Poste et des administrations, c’est en masse qu’on trouve de jeunes descendants d’immigrés musulmans, leur troisième génération. Dans les hôpitaux, ce ne sont déjà plus des infirmières mais des médecins qui portent des noms du Maghreb et du Machrek et pour les mœurs comme pour le nombre d’enfants, les jeunes musulmans – d’origine musulmane et toujours moins religieux – ne se différencient plus guère des enfants de familles chrétiennes.

Il y aura d’autres attentats. Malgré la mobilisation des services de renseignements, c’est malheureusement certain. C’est largement inévitable mais le plus grand service que nous puissions rendre aux djihadistes serait de regarder comme des terroristes en puissance tout jeune musulman et d’en faire ainsi l’ennemi qu’il n’est pas.  

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