La gravité est ailleurs. Le plus grave n’est pas que quelques centaines de débiles aient pu forcer les portes du Capitole et que cinq personnes y aient laissé leur vie. Beaucoup de journaux et de personnalités américaines ont vu là « une tentative de coup d’Etat » mais où étaient les forces – régiments, police ou milices armées – prêtes à prendre le pouvoir en substituant une dictature à la démocratie américaine ?
Il n’y en avait pas car, avant même cette pantalonnade, le vice-président de Donald Trump, le président de sa majorité sénatoriale et beaucoup d’élus républicains s’étaient déjà détournés de lui. Ce 6 janvier fut bien plutôt le jour où cet homme a achevé de se tirer dans le pied en jouant à la marche sur Rome avant de se cacher dans les jupes de ses avocats mais cet instant d’humiliation des Etats-Unis n’en dit pas moins deux choses qui sont, elles, extrêmement inquiétantes.
La première est qu’il aura tout de même fallu les tout derniers jours de ce mandat pour que les sénateurs et représentants républicains commencent à marquer leurs distances avec un homme qui aura, entre autres, obstinément nié la gravité d’une pandémie qui ravage aujourd’hui son pays, tenté d’échanger l’aide américaine à l’Ukraine contre une mise en cause du fils de Joe Biden et cultivé une trop évidente connivence avec tous les dictateurs de ce monde.
Devant ce Néron des temps modernes, les élus républicains s’étaient couchés quatre ans durant par crainte qu’il ne leur oppose, dans les primaires, des candidats à sa main. Ils avaient tout avalé parce que la popularité d’un démagogue peut avoir raison de la dignité d’hommes et de femmes qui préfèrent tout à la perte de leurs sièges.
Beaucoup plus que le grand guignol du 6 janvier, c’est cette faiblesse structurelle de la démocratie qui fait peur et ce qui fait beaucoup plus peur encore est que les raisons qui avaient permis l’élection d’un Trump ne se sont pas effacées mais perdurent, aux Etats-Unis comme dans toutes les démocraties développées.
La fermeture et les délocalisations d’usine provoquées par la quête des plus bas coûts de production possibles continuent de semer une désespérance et une colère sociales. Les grands partis de l’après-guerre en sont considérablement affaiblis par la désertion des électorats populaires qui leur reprochent de les avoir trahis en se ralliant aux logiques économiques de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Cette déstructuration des échiquiers politiques profite aux nouvelles extrêmes-droites sociales-nationalistes qui sont parallèlement renforcées par l’angoisse que créent l’ampleur des migrations vers l’Europe et les Etats-Unis et le recul économique et démographique des mondes occidentaux.
Des deux côtés de l’Atlantique, monte un désarroi social et culturel qu’accentue la vitesse à laquelle les nouvelles technologies et la révolution des mœurs modifient les habitudes et conventions les plus ancrées. Il n’y a plus un pays occidental, Russie et Turquie comprises, dont une moitié des électeurs ne recherche désespérément un retour à l’ordre familier des temps passés, une pause au moins dans les bouleversements en cours et l’élaboration, surtout, d’un nouveau contrat social plus juste et rassurant.
M. Trump est désormais promis aux oubliettes politiques. Les nouvelles extrêmes-droites européennes paraissent également s’essouffler mais si Joe Biden et les dirigeants européens ne savent pas rassurer et protéger les plus faibles, si priorité n’est pas donnée à une réinvention de la protection sociale et à l’augmentation des salaires les plus bas, il y aura bientôt bien pire encore que MM. Trump, Orban, Poutine ou Erdogan et les démocraties connaîtront alors une nouvelle ère, celle des coups d’Etat, les vrais.