C’était vendredi dernier. Souvenez-vous de cette date du 12 mars 2021 car le discours que Joe Biden a prononcé ce jour-là restera comme celui du changement de modèle économique, de la résurrection de Keynes et de la seconde mort de Margaret Thatcher – du « changement de paradigme » comme l’a dit le président américain.

Ce n’est pas que son discours ait été éblouissant. Il était même franchement poussif mais cette célébration des 1900 milliards de dollars que le Congrès venait d’accepter d’injecter dans l’économie constituait le pendant américain de la décision européenne d’emprunter en commun pour financer une relance commune de 750 milliards d’euros.

Les deux rives de l’Atlantique ont désormais retourné la formule du reagano-thatchérisme selon laquelle l’Etat ne serait « pas la solution mais le problème ». L’Etat est redevenu la solution et pour que le tournant pris soit bien clair, Joe Biden a également répudié les deux autres dogmes de la « révolution conservatrice ».

« Nous devons continuer, a-t-il dit, à convaincre le peuple américain que son Etat peut fonctionner en sa faveur et produire (…) prospérité, sécurité et opportunités pour les gens de ce pays ».

« Depuis bien trop longtemps, a-t-il aussi dit, la théorie était : réduisez les impôts et les bénéfices qu’en retireront ceux d’en haut ruisselleront vers tous (mais) nous avons vu ce que donnait le ruissellement ».

Alors reprenons le fil.

A la fin des années 1970, la protection sociale a eu de tels résultats que les cols bleus ont désormais élargi les rangs des classes moyennes. D’abord importé de Suède par Roosevelt afin d’opposer son New deal aux ravages de la crise de 29, le Welfare state avait ensuite été développé, aux lendemains de la guerre, pour dynamiser la croissance en favorisant la consommation. Il avait ainsi scellé un nouveau contrat social dans lequel s’incarnait le rêve américain mais, financé par la redistribution fiscale, il n’irrite pas que les plus riches. Les nouvelles classes moyennes se lassent aussi du système qui les avait sorties de la pauvreté car ce sont maintenant leurs impôts qui payent les aides aux plus pauvres, c’est-à-dire le plus souvent au sous-prolétariat noir.

Le basculement vers les Républicains d’une large partie des classes moyennes et la mobilisation des grandes fortunes en faveur d’une baisse de la fiscalité ouvre une nouvelle ère, celle de la réduction du rôle de l’Etat et d’un enrichissement des riches supposé profiter aux plus pauvres.

Ce néo-libéralisme a eu beaucoup d’effets bénéfiques. En dérégulant l’économie, il a permis l’apparition de nouvelles industries et le boom des nouvelles technologies. Il a parallèlement sorti de la misère des centaines de millions de Chinois bénéficiaires des délocalisations et des importations occidentales mais, en généralisant l’insécurité sociale, il a réduit les rangs des classes moyennes occidentales, fait exploser les inégalités et permis la réémergence d’extrêmes-droites nationalistes.

Ce fut le Brexit. Ce fut Trump mais, la Covid montrant à quel point l’Etat restait la solution, Biden réhabilite Keynes, le maître à penser de la social-démocratie, exactement de la même manière que Roosevelt s’était attaqué aux « raisins de la colère » en bâtissant un consensus autour de son New Deal. Another America is back, celle de Roosevelt, et cet aggiornamento des Etats-Unis pourrait bien annoncer la mondialisation du « changement de paradigme ». 

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