Lorsqu’ils concernent l’avenir, les sondages ne sont pas plus fiables que les prédictions. Universelle, c’est la première conclusion à tirer des élections turques et les deux autres ne le sont pas moins car, normalement, l’hyperinflation, l’étouffement des libertés et le boom de la corruption auraient dû infliger la plus humiliante des défaites à Recep Erdogan et à son parti.
Or s’il n’en a rien été, si une moitié de la Turquie leur restent malgré tout fidèles, c’est que les élections ne se jouent plus d’abord sur l’économie. Ce qu’avait professé Bill Clinton et plusieurs générations de politologues avant lui n’est plus vrai car le monde est devenu tellement incertain et ses évolutions si profondément anxiogènes que partout ou presque un électeur sur deux cherche refuge à l’abri des frontières nationales et d’un passé mythifié, dans un rejet de l’autre et la résurrection des nationalismes.
En Turquie comme aux Etats-Unis, en Afrique ou dans les pays de l’Union européenne, la rapidité de la libération de la femme et de l’évolution des mœurs engendrent dans des pans entiers de nos sociétés un si complet désarroi qu’il favorise une aspiration au retour de normes dépassées qui s’appelle la réaction.
Longtemps marginalisées, les droites réactionnaires en ont partout le vent en poupe et, dans tous les pays vers lesquels elles se dirigent, les vagues migratoires suscitent parallèlement une peur de l’étranger, une xénophobie porteuse de racismes et de phantasmes sur le « grand remplacement » d’un environnement familier par d’autres civilisations.
Dans tous les pays, à des degrés divers mais dans un même phénomène de peurs montantes et croisées, se mêlent ainsi une panique devant l’effondrement de normes religieuses et familiales connues et la mise en cause de nouvelles libertés par le développement d’immigrations qui admettent aussi mal l’avortement que la laïcité ou l’homosexualité.
Et ce n’est pas tout. A l’heure où elles découvrent qu’elles ne sont plus totalement dominantes et que la croissance économique de nouveaux pays peut être porteuse d’ambitions impériales, les élites et les populations occidentales en reviennent au protectionnisme et à la crainte des mondes étrangers. C’est eux ou nous, se disent-elles toujours plus et, face à elles, des nations qu’elles avaient colonisées ou marginalisées rêvent ouvertement d’une revanche historique qui viendrait renverser les équilibres internationaux.
On en revient à une ère défiance internationale et, des Etats-Unis à la Turquie, de pays aussi minuscules qu’Israël ou la Hongrie à des pays aussi immenses que l’Inde ou la Chine, un nationalisme réactionnaire cimente de nouvelles droites, trumpiste, orbaniste, erdoganiste, poutinienne, netanyahiste ou bolsonariste. Ces droites reculent ou progressent en fonction de situations économiques, politiques ou internationales mais que le moment leur soit ou non favorables, elles existent et s’enracinent dans le regroupement des extrêmes-droites, des droites dures, des classes les plus fragiles et des fondamentalistes chrétiens, musulmans, juifs ou bouddhistes.
On vient de le voir en Turquie mais on y a également vu, comme hier en Israël ou en Hongrie, qu’il ne suffisait pas de regrouper les démocrates de tous les segments de l’échiquier politique pour constituer de nouvelles forces à même de s’opposer à ces nouvelles droites. C’est la troisième des leçons universelles de scrutin turc. Face à la peur et à la fuite dans le passé, il faut plus que le souffle de la liberté, l’amour de la modernité et l’étendard de la démocratie. Il faut un programme, une modération et une vision qui rassurent assez pour convaincre et l’emporter.