Elle s’était trompée, totalement trompée. Avant qu’elle n’ait gagné les élections, il y a encore un an, Mme Meloni se faisait fort de résoudre la question migratoire par la vertu nationale d’un « blocus naval ». Maintenant que le nombre de migrants a tout simplement doublé sous son gouvernement, elle en appelle à la solidarité de l’Union en faisant venir la présidente de la Commission sur l’île de Lampedusa, plus de 7000 arrivées en un jour pour une population de moins de 7000 habitants.
Mieux vaut tard que jamais mais Giorgia Meloni a dès lors le devoir de dire à l’ensemble des extrêmes-droites européennes qu’elles ne peuvent plus continuer à s’opposer à cette solidarité que prône la Commission et que défendent l’écrasante majorité des eurodéputés et des 27 chefs d’Etat et de gouvernements. Puisqu’elle-même s’en est enfin convaincue, elle se doit de dire à ses amis et cousins politiques, notamment à ceux qui gouvernent à Budapest et Varsovie, qu’il faut, oui, bien sûr, que les migrants arrivés sur les côtes européennes soient répartis entre l’ensemble des Etats de l’Union et non plus laissés à la seule charge des pays méditerranéens et que ceux des Etats qui refuseraient cette répartition contribuent alors à un pot commun.
C’est une proposition incontournable car si nous ne la mettons pas en œuvre, il n’y a qu’une alternative. Ou bien nous laissons l’Italie mais aussi Chypre, Malte et la Grèce se débrouiller seules ou bien nous allons couler en mer ceux des bateaux de migrants que les vagues n’ont pas envoyés par le fond. Sans solidarité entre Etats membres, nous laissons vite exploser l’Union ou nous résolvons à organiser des crimes de masse puisqu’il n’y a pas de solution magique au problème auquel nous faisons face.
Des dizaines de milliers de jeunes gens sont poussés vers cette Terre promise qu’est l’Europe par une misère que la démographie, les guerres et l’instabilité politique de l’Afrique vont accentuer et que le réchauffement climatique va bientôt décupler. Ils préféreront toujours le risque de la mort à sa certitude. Rien, autrement dit, ne les empêchera de rêver d’atteindre l’Europe pour y trouver une vie décente comme tant d’Européens avaient rêvé d’Amérique au siècle dernier et tant de Latino-américains en rêvent aujourd’hui. L’Europe aimante la jeunesse africaine et l’aimantera toujours plus mais est-ce à dire qu’il faudrait nous résigner à un afflux désordonné qui nous menace de troubles politiques, voire de chaos ?
Certainement pas. A long comme à court terme, cela nous oblige au contraire à relever le défi.
Dans l’immédiat, il s’agit non seulement de faire prévaloir la solidarité des 27 mais aussi de faire le tri entre les migrants économiques et ceux qui fuient la prison, les tortures ou l’assassinat. Les uns ont droit à l’asile politique. Infiniment plus nombreux, les autres n’ont pas de droit à faire valoir. Il s’agit, autrement dit, de savoir qui est qui et de se donner ainsi les moyens – par une pression sur les pays d’origine et le développement d’un contrôle commun de nos frontières communes – de renvoyer chez eux des gens que nous n’avons pas de raison d’accueillir car l’Union ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
A long et moyen terme, on ne pourra cependant tarir le flot des tentatives d’entrées irrégulières qu’en contribuant à la création d’emplois en Afrique. Beaucoup n’y croient pas. Beaucoup hausseront là les épaules. Il y a des décennies qu’on en parle, penseront-ils, mais la nouveauté est que les Européens voient maintenant que leur intérêt n’est pas d’enrichir et renforcer un concurrent stratégique en continuant d’aller produire en Chine ; que les coûts et les dégâts environnementaux du transport sont bien moindres entre l’Afrique et l’Union qu’entre l’Asie et l’Europe et que plus il y aura d’emplois de l’autre côté de la Méditerranée, moins il sera tentant d’aller la traverser sur une coquille de noix.
Comme Mme Meloni a fini par le comprendre, ce n’est pas en appelant au repli national qu’on luttera contre l’anarchie migratoire. C’est en serrant et resserrant les rangs de l’Union car ce n’est qu’unis que nous pourrons contrôler nos frontières et jeter les bases d’un co-développement avec l’Afrique.