C’est un immense soulagement pour la Pologne, l’Europe et le monde. Avec cette si nette victoire de l’opposition, les Polonais échappent au constant rétrécissement de l’Etat de droit, de la liberté de la presse et des droits des femmes que leur avait imposé la majorité sortante. L’Union européenne, pour sa part, voit s’éloigner les dangers que l’affirmation d’une coalition hungaro-polono-slovaque aurait constitué pour son fonctionnement, ses prises de décision et la clarté de son soutien à l’Ukraine.

Quant à la stabilité internationale, les Polonais viennent de lui épargner les incertitudes qu’aurait suscitées un flottement des 27 à un moment où l’on ne peut pas se rassurer en se disant qu’aucun des pays proche-orientaux ne souhaite un embrasement régional.

Il est vrai que l’Arabie saoudite et son prince héritier ne rêvent que d’ouverture aux Occidentaux et ne vibrent pas à la cause palestinienne. Confronté à une profonde dégradation économique et à un mécontentement populaire croissant, le maréchal-président Sissi n’aurait, lui, aucun intérêt à une rupture de la paix froide entre Le Caire et les Israéliens. Le régime syrien n’a pas un sou en caisse et n’ose pas même s’attaquer à la contestation dans le sud du pays. Il y a longtemps que la stabilité du royaume jordanien repose sur la coexistence avec Israël. Fut-ce par le biais du Hezbollah libanais, l’Iran n’aurait enfin rien à gagner à entrer en conflit ouvert avec « l’entité sioniste » alors qu’il ne parvient pas à normaliser sa situation intérieure et que l’engrenage provoqué par la tuerie de masse du Hamas a d’ores et déjà donné le coup d’arrêt qu’il souhaitait au rapprochement entre Ryad et Jérusalem.

Si seule la logique gouvernait l’atrocité de cette crise, un retour au statu quo ante n’aurait rien d’inenvisageable mais les bombardements de Gaza suivis d’un ratissage de cette bande côtière pourraient vite contraindre les capitales arabes à hausser le ton sous la pression de leurs opinions. Sauf à perdre leur statut de défenseurs de Palestiniens et donc leur légitimité morale en terres sunnites, les chiites iraniens pourraient finir, eux, par devoir aider Gaza en laissant le Hezbollah ouvrir, au Nord, un deuxième front. Il suffirait, en un mot, d’un nouveau dérapage du Hamas ou d’Israël pour que ce magasin de poudre qu’est le Proche-Orient soit mis à feu.

Et puis il y a la Russie. M. Netanyahou pensait pouvoir compter sur son ami Poutine mais le président russe aurait grand intérêt à contribuer à un embrasement régional. A ce jour, rien ne prouve qu’il ait favorisé les plans du Hamas. Il n’y a pas de « smoking gun » et sans doute n’en trouvera-t-on pas mais c’est avant tout au Kremlin que profite le crime puisqu’il va devenir non pas impossible mais difficile aux Etats-Unis comme à l’Union de soutenir à la fois l’Ukraine et Israël alors que la campagne présidentielle américaine s’ouvre à l’ombre de Donald Trump ; que l’Union est divisée par la question palestinienne et que la présidente de la Commission vient de commettre une très dommageable bévue en semblant approuver les bombardements de Gaza.

Poutine ne peut rien ignorer de ces fragilités occidentales. Il fera tout pour continuer d’en jouer alors que les cartes des divisions du monde sur Gaza et l’Ukraine se recoupent presque totalement. C’est d’une cassure entre l’Occident et le « Sud profond » que cette crise est porteuse. Les bombardements de Gaza ont maintenant toute raison de l’accentuer et si la Chine décidait d’utiliser cet imbroglio pour lancer un coup de force contre Taiwan, nous vivrions les débuts d’un conflit généralisé.

Il est autrement dit urgent de rappeler au gouvernement israélien que la vengeance n’est pas une politique, qu’il faut préserver une représentation politique des Palestiniens, qu’il n’en est pas d’autre que celle de l’Autorité et que l’inévitable corollaire de l’éradication politique du Hamas est une reprise des négociations de paix.

Cela, l’Europe doit le dire en conditionnant la poursuite de ses aides aux Israéliens et aux Palestiniens à des compromis réciproques menant à une solution à deux Etats. Comme impulseur au moins d’un changement de donne, l’Union a aujourd’hui un rôle à remplir que les Etats-Unis ne peuvent pas jouer tant l’ouverture de leur campagne présidentielle les polarise et les paralyse.

Il faudra encore quelque deux mois pour que la nouvelle majorité prenne les commandes à Varsovie. Même alors, rien n’y sera simple mais par un vote contraire à celui qu’ils viennent d’exprimer, les Polonais auraient pu faire reculer d’un coup leur pays, l’Europe et le monde.

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