Fichu, vous dis-je. Fini, foutu : Poutine a gagné, entend-on de partout et, si faux qu’il soit, ce grand air de la résignation a tout pour convaincre. Dès lors, explique-t-on, que la contre-offensive ukrainienne a échoué à faire reculer les troupes russes et que cette guerre est ainsi devenue guerre de positions, l’avantage revient à Vladimir Poutine car il dispose de plus d’hommes que l’Ukraine.

Les sanctions occidentales, ajoute-t-on, ont échoué à mettre à genoux l’économie russe dont les chaînes de munitions tournent à plein rendement. Les dirigeants occidentaux, poursuit-on, sont désormais plus occupés par le Hamas que par le Donbass et l’incessant bombardement de Gaza les fait accuser, dans nombre de pays et d’Universités, d’avoir l’indignation sélective. Tout profite, conclue-t-on, à Vladimir Poutine qui n’aurait plus qu’à attendre l’élection de Donald Trump pour se rapprocher des Etats-Unis, s’éloigner de la Chine et obtenir ainsi l’entérinement d’un partage de l’Ukraine et affaiblir au passage l’Union européenne à laquelle aucun de ces hommes ne veut de bien.

C’est fait, vous dis-je mais, non, désolé, ça ne l’est en réalité pas du tout car, reprenons.

Si dures qu’elles soient, des sanctions économiques pouvaient encore moins paralyser d’un coup la Russie qu’elles n’avaient obligé l’Afrique du Sud à renoncer à l’apartheid ou l’Iran à sa théocratie. Les sanctions sont un poison lent qui complique et renchérit tout pour ceux contre lesquels elles sont prises. Elles leur empêchent beaucoup de choses mais il n’y a rien d’extraordinaire à ce que Vladimir Poutine les surmonte. Il vit avec mais si elles étaient indolores et sans effet, pourquoi viendrait-il de dire aux Russes qu’elles allaient augmenter leurs difficultés ?

Il l’a fait parce qu’il eut été dangereux pour lui de ne pas en paraître conscient alors que 43% des Russes s’attendent à ce que leur situation économique se dégrade et que seuls 31% d’entre eux pensent, ou disent en tout cas, qu’elle n’empirera pas ni ne s’améliorera. Le poutinisme survit aux sanctions mais il en souffre bien évidemment car même un enfant saurait que, béquilles ou pas, un unijambiste ne peut pas marcher aussi bien avec une jambe qu’avec deux.

Ce même sondage dément, parallèlement, la théorie de l’avantage démographique de la Russie car si l’Ukraine est trois fois moins peuplée que la Russie, si elle a aussi ses déserteurs et si ses troupes fatiguent, 58% des Russes sont opposés à une deuxième vague de mobilisation. Vladimir Poutine n’en est pas déjà à court d’hommes puisqu’il dispose de volontaires séduits par l’attrait des contrats que son armée propose. Les plus pauvres des régions de la Fédération voient ainsi leur économie décoller grâce aux soldes de leurs enfants mais le pays refuse très majoritairement que sa jeunesse parte au champ de bataille.

Ce n’est pas le signe d’un grand soutien à cette guerre dont les sondages disent aussi pour la première fois – évolution d’importance – que les Russes sont plus nombreux, 48% contre 39%, à souhaiter en sortir par l’ouverture de négociations qu’à voir les combats se poursuivre. Pour la première fois aussi, les Russes sont également plus nombreux, 50% contre 44%, à ne pas croire aux informations officielles sur les combats qu’à y prêter foi.

Reste, dira-t-on, que les sondages américains donnent de vraies chances à Donald Trump de revenir à la Maison-Blanche. Là, oui, tout changerait. Là, Vladimir Poutine prendrait réellement l’avantage mais, pour l’heure, le front intérieur ne lui sourit pas plus que le sort des armes en mer Noire ou sur la rive Est du Dniepr.

Il y a dans les presses occidentales un vent de défaitisme nourri par l’inquiétude populaire que suscite la détérioration du climat international. Américains et Européens craignent qu’elle ne les happe. Ils ont peur que leurs enfants à leur tour ne partent au combat et que des bombes ne pleuvent sur leurs villes. L’idée que la Russie ait déjà gagné en Ukraine les rassure car cela ferait une guerre de moins mais en quoi Vladimir Poutine serait-il en voie de l’emporter ?

Politiste proche du Kremlin et patron du Centre de recherche sur l’opinion publique, Valeri Fiodorov vient d’avancer une réponse aussi parfaitement claire que cynique. Dans une longue interview au site RBK, il explique que le « parti de la guerre » ne représente pas plus de 10 à 15 % de la population russe qui n’avait jamais rêvé d’aller occuper Kiev et Odessa mais que la grande majorité des Russes ne veut pas perdre la guerre maintenant qu’elle a été engagée. Vladimir Poutine, dit-il par-là, aurait en conséquence toute liberté de poursuivre les combats et, lorsqu’il le voudra, d’en décréter la fin en proclamant sa victoire.

A l’entendre, le président russe aurait le temps pour lui mais l’aura-t-il pour longtemps encore ?

Cela ne dépend en fait que de nous, Américains et Européens, car Vladimir Poutine n’aura les coudées franches que jusqu’au jour où nous ne refuserons plus à l’Ukraine les armes nécessaires à sa libération. Tout dépend de nous car ce n’est pas lorsque tout tremble, de Kiev à Gaza, qu’il faut choisir le renoncement. Tout dépend de notre capacité à refuser qu’une victoire du Kremlin ne projette une Russie grisée par son triomphe jusqu’aux frontières de l’Union européenne, n’enhardisse toutes les dictatures qui rêvent d’en finir avec la démocratie et ne trompe tous les peuples qui aspirent de par le monde à une revanche historique sur l’Occident. Tout dépend de nous car à l’instant même où Vladimir Poutine ne pourra plus cacher sa défaite aux Russes, ses jours seront comptés.

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