Tribune parue dans Libération le 1er mai

On attend vos réponses, M. Bardella. Parlez, car les sondages vous donnent si largement en tête aux élections européennes et votre parti ambitionne tant de revenir sur l’unité européenne en remportant la prochaine présidentielle que vous devez répondre aux questions que pose le bouleversement du monde.

La première est de savoir comment assurer notre Défense à l’heure où la préoccupation des Etats-Unis n’est plus l’Europe mais la Chine. Cette évolution est si profonde et Donald Trump a déjà tant décrédibilisé l’Alliance atlantique qu’il n’est plus certain que nous bénéficions encore, nous les Européens, d’une quelconque protection américaine alors que tout nous menace, à l’Est comme au Sud.

A nos frontières orientales, Vladimir Poutine tente de réintégrer l’Ukraine à la Russie et rêve à haute voix de reconstituer l’Empire des tsars qui a compris, entre autres, la Finlande et près d’une moitié de la Pologne. De l’autre côté du lac eurafricain qu’est la Méditerranée, la volonté d’affirmation de la théocratie iranienne, l’affrontement israélo-palestinien et le fractionnement du Liban, de l’Irak et de la Syrie portent en eux un embrasement régional dont les retombées nous atteindraient vite.

L’Europe n’avait jamais connu de tels dangers depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale alors même qu’elle n’a pas d’autre vraie Défense que les armées françaises. Il y a urgence et c’est pour cela qu’Emmanuel Macron vient de faire plusieurs propositions à la France et à l’ensemble de nos partenaires mais vous, M. Bardella, que dites-vous ?

Etes-vous d’accord pour aller à marche forcée et budgets renforcés vers une Défense commune organisant la complémentarité de nos armées ? Considérez-vous ou pas qu’il soit nécessaire de développer des industries d’armement paneuropéennes afin que nos dépenses militaires profitent à nos économies et non plus à celles des Etats-Unis, d’Israël ou de la Corée ? Pensez-vous ou non qu’il faille recourir à un emprunt commun pour financer cet effort de Défense plutôt que de laisser l’épargne européenne s’investir dans la réindustrialisation des Etats-Unis ? Rejetez-vous la création d’une Académie militaire européenne ? Souscrivez-vous à l’ouverture d’une réflexion sur une intégration de la dissuasion française à une Défense commune et au développement d’un « Dôme de fer » commun à même d’intercepter des frappes visant l’Union ?

Il faut le dire et vite, M. Bardella, car les Français ont besoin de le savoir avant d’aller voter, le 9 juin, à des élections qui engagent notre avenir et celui de toute l’Union pour le demi-siècle à venir. Contrairement à ce que vous voudriez faire croire, l’enjeu n’est en effet pas celui d’une élection française de mi-mandat. L’enjeu est autrement plus vital car si ce n’est pas la Défense européenne, quelle Défense proposez-vous pour remplacer ce parapluie américain qui se referme et nous donner par-là la maîtrise de notre destin ?

Réfléchissez bien avant de répondre mais répondez car les sondages disent aussi que les Français et tous les citoyens de l’Union sont massivement favorables à une Défense commune tant la perception des dangers et de l’éloignement américain est désormais générale. Même en Pologne, même dans ce pays qui n’avait si longtemps voulu voir d’autre garant de sa sécurité que la seule Amérique, le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, parle aujourd’hui de la nécessité de « renforcer le pilier européen » de l’Alliance atlantique et ne rejette plus la transformation de l’Union en une « entité géopolitique », en un acteur de la scène internationale dont il parle déjà comme d’une réalité.

Logiquement, la Pologne intègre à sa vision du monde la profondeur du changement de donne en cours mais vous, M. Bardella ? Vous qui entendez bientôt gouverner, comprenez-vous et admettez-vous qu’une Défense commune demande une politique étrangère commune et des dépenses et des décisions communes dans des domaines, y compris régaliens, qui ne relèvent jusqu’aujourd’hui que des capitales nationales ? Et au-delà de l’aspect militaire de notre sécurité, aspirez-vous ou non à une recherche et des politiques industrielles communes sans lesquelles nous nous effacerions en ratant les révolutions technologiques à venir aussi sûrement que nous avons raté celles de l’informatique et de l’internet ?

Là non plus, il ne vous est pas aisé de répondre car il en va des industries d’avenir comme de la Défense : l’unité permet autant le succès que la dispersion garantit l’échec. Dans votre rôle de prophète des temps passés, il vous est évidemment difficile de choisir le vent du large contre le cabotage et de ne pas continuer à préférer la résurrection des nationalismes d’antan à l’invention d’une puissance européenne sans laquelle nous finirions par vivre sous duopole sino-américain.

Votre frilosité politique, on le comprend, n’est pas propice à l’audace historique mais entre l’Europe du XIX° siècle et celle du XXI°, il vous faudra pourtant dire votre choix. C’est d’ici le 9 juin, M. Bardella, pas après, qu’il vous faut dire aux Français comment et où vous compteriez les mener car que savons-nous de vous ? En vérité, rien à part le fait que vous vous taisez obstinément tant vous craignez de perdre des voix en faisant entendre la vôtre.

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