Pour savoir ce qu’est un antisémite, encore faudrait-il savoir ce qu’est l’antisémitisme. Pour savoir ce qu’est un antisioniste, encore faudrait-il savoir ce qu’est un sioniste. C’est sur ces questions de définition que dérapent tant des débats suscités par la tuerie du 7 octobre et les bombardements de Gaza mais ce n’est pas la seule car prenons les étudiants français qui occupent Sciences Po ou leur faculté en solidarité avec les Gazaouis.
Ils sont « antisémites », disent beaucoup de ceux – pas forcément Juifs, loin de là – qui se sentent solidaires des Israéliens et sont en conséquence choqués par ces manifestations. « Pure calomnie », répondent ces étudiants en arguant du fait que des étudiants juifs manifestent avec eux et que, contrairement aux antisémites, ils n’ont absolument rien contre les Juifs en général qu’ils n’accusent aucunement de tous les maux et crimes que leur imputait l’antisémitisme des siècles passés.
C’est vrai. Même en cherchant bien, on ne trouverait pas une seule personne parmi les propalestiniens de Sciences-Po pour penser qu’il faudrait établir des numerus clausus contre les Juifs et rouvrir les ghettos ou les camps d’extermination mais ces étudiants et ceux qui encouragent leur mouvement sont en revanche nombreux à se dire « antisionistes ».
Ils veulent dire par-là, croit-on comprendre, qu’ils condamnent les politiques menées par Israël mais outre que beaucoup d’antisémites se cachent depuis les années 70 sous cette appellation d’antisioniste que peut aujourd’hui signifier ce qualitatif ?
Au début du siècle dernier, étaient antisionistes tous ceux des Juifs d’Europe, leur écrasante majorité, qui voulaient être reconnus comme citoyens à part entière dans leur pays et ne voyaient dans le sionisme, dans l’idée d’aller créer un foyer national juif en Palestine, qu’une absurde utopie. C’était le cas des classes moyennes urbaines juives comme du puissant mouvement ouvrier juif d’Europe centrale, le Bund. A l’époque, être antisioniste n’était certainement pas être antisémite mais dès lors que l’utopie s’est réalisée et qu’il existe un Etat juif depuis plus de sept décennies, l’antisionisme ne peut plus être qu’une aspiration à le détruire, soit en chassant les Israéliens de Palestine, soit en créant un Etat binational où les Juifs seraient minoritaires.
On sait que « mal nommer les choses, disait Camus, est ajouter au malheur du monde » et on le vérifie là. A revêtir des habits de l’antisionisme la condamnation des bombardements de Gaza et de la colonisation de la Cisjordanie, on en arrive vite – fût-ce sans le vouloir – à dénier à Israël le droit d’exister. On ne dénonce plus une majorité parlementaire, un gouvernement, des crimes de guerre et la violation du droit international mais un Etat en tant que tel qui, sur les cartes et en mots, disparait « de la rivière à la mer », du Jourdain à la Méditerranée.
Or à vouloir détruire un Etat, on n’ambitionne pas de jeter les bases d’une paix juste mais de précipiter un nouveau siècle de guerres. Plutôt que de se dire « propalestinien » ou « proisraélien », il faut être pro-paix, pour la coexistence de deux Etats, et comprendre qu’on ne soutient pas Israël en justifiant la punition collective des Gazaouis et ne défend pas les Palestiniens en minimisant l’horreur du 7 octobre.