Même un président aussi brutal et dominateur que lui ne peut pas ignorer les rapports de force. Même Donald Trump peut soudain voir les récifs sur lesquels il fonce et c’est ainsi qu’il vient d’affirmer que l’Ukraine pourrait finalement gagner cette guerre avant de déclarer dans la foulée qu’il ne laisserait pas le Premier ministre israélien annexer la Cisjordanie.
En trois jours, ce président a pu qualifier la Russie de « tigre en papier » et se distancer de Benjamin Netanyahou. Il s’est coup sur coup déjugé sur les deux dossiers les plus brûlants du monde et la raison en est qu’il y était contraint, d’abord par Vladimir Poutine qui l’a, dit-il, « laissé tomber ».
Non seulement le président russe a refusé le compromis qu’il lui avait proposé sur l’Ukraine mais il est allé applaudir l’impressionnant défilé militaire que ses amis chinois avaient organisé cet été. Donald Trump avait conçu de laisser Vladimir Poutine l’emporter en Ukraine pour l’éloigner de la Chine et c’est au contraire à un resserrement des liens sino-russes qu’on assiste. Pire encore, le seul vrai succès diplomatique de ce président, les accords de paix entre Israël, les Emirats arabes unis et Bahreïn, était menacé par les projets d’annexion de la Cisjordanie.
Si vous laissez faire, lui avaient dit les Emirats, les « Accords d’Abraham » sont morts. L’Arabie saoudite avait surenchéri en se plaçant sous la protection nucléaire du Pakistan afin de marquer qu’elle était prête à une rupture avec Washington. Tout indiquait que les Etats-Unis étaient en passe de perdre pied dans le monde arabe après s’être fait rouler dans la farine par Moscou et Donald Trump n’avait donc pas d’autre choix que de rétropédaler.
Comme la Pologne l’a fait aussitôt remarquer, cela ne signifie pas que les Etats-Unis vont aller combattre la Russie aux côtés de l’Ukraine. Cela ne signifie pas non plus qu’ils vont reconnaître la Palestine et œuvrer à une solution à deux Etats. Cela peut plutôt annoncer un éloignement américain de l’Ukraine qui n’aurait plus à compter que sur la seule Europe mais la conclusion à tirer de ces retournements est que, « grandeur de l’Amérique » ou pas, Donald Trump ne peut pas faire ce qu’il veut.
Une fois dos au mur, il doit comme tout un chacun peser les avantages et les inconvénients qu’il y aurait à ne pas arrondir les angles. La Chine l’avait déjà démontré en ne cédant rien sur les droits de douane dont la Maison-Blanche la menaçait. Le Brésil est peut-être en train de le montrer à son tour et l’Europe, quant à elle, ne doit décidément pas se croire obligée de tout céder à cet homme.
Elle a commencé à lui résister lorsqu’elle avait décidé d’accompagner Volodymyr Zelenski à Washington le 18 août dernier pour faire front avec lui. C’est alors qu’elle avait initié l’évolution américaine sur l’Ukraine mais il lui reste à réaliser aujourd’hui voir que l’Amérique va cruellement manquer d’alliés.
En délicatesse avec le Canada et la quasi-totalité de l’Amérique latine, regardés avec défiance dans leurs zones d’influence arabes et asiatiques, objets d’un ressentiment général depuis qu’ils ont déclaré une guerre commerciale à la terre entière, les Etats-Unis sont isolés. Le monde cherche à se réorganiser sans eux. La Chine tente de se camper en puissance d’ordre et de modération. Le soutien à l’Ukraine mobilise un grand nombre de démocraties autour de l’Europe. L’Amérique aura bientôt besoin d’amis pour faire face à la Chine et même avant que notre Défense commune n’ait pris corps, cela nous permet, à nous Européens, de faire entendre ce que sont nos conditions, politiques, commerciales et militaires.
C’est si vrai qu’on vient de voir la France, la Grande-Bretagne et nombre d’Européens s’entendre avec les monarchies du Golfe pour faire bouger les Etats-Unis sur le Proche-Orient. C’est tellement indiscutable que depuis l’affirmation de l’axe sino-russe, Donald Trump apprend à comprendre que cette Europe qu’il déteste est tout simplement incontournable.
Photo : Chairman of the Joint Chiefs of Staff @Flickr