Il faut d’urgence reforger une alliance. Il le faut car nos liens sont trop anciens, profonds et aussi nécessaires aux Etats-Unis qu’à l’Europe pour que nous les laissions se défaire encore plus. Il le faut car tant de feux couvent de par le monde qu’ils nous obligent à agir ensemble avant que l’incendie ne se généralise.

Il le faut car l’état de droit, les Lumières et la concertation internationale sont ouvertement contestés par un nombre toujours plus grand d’Etats et de courants politiques. Il le faut car l’Union européenne est encore loin de pouvoir se passer de la protection des Etats-Unis. Il le faut, en un mot, pour la stabilité du monde, la défense de la démocratie et notre sécurité propre à nous autres Européens mais est-il encore temps d’y parvenir et comment ?

Si Donald Trump était réélu en novembre, la réponse ne serait que trop claire. Il ne serait alors plus guère possible de resserrer nos liens car l’ambition de cet homme resterait de faire plier l’Union et certainement pas de reconnaître en elle un partenaire à traiter en égal des Etats-Unis. La possibilité serait même grande qu’il ne finisse par s’entendre, sur le dos des Européens, avec la Chine, la Russie ou les deux, avec des dictatures dont il est culturellement plus proche que des démocraties du vieux monde. Un second mandat Trump ferait de tels dommages aux relations transatlantiques que nous n’aurions plus d’autres choix que de passer la cinquième sur la route de la Défense commune mais la défaite des Démocrates n’a, heureusement, rien de certain.

Depuis l’impéritie dont le président sortant s’est montré coupable face à la pandémie et le réveil, par l’assassinat de George Floyd, des immenses capacités de compassion américaines, Joe Biden a de vraies chances d’entrer à la Maison-Blanche. Autour de lui, c’est une nouvelle Amérique qui prendrait alors les commandes, mue par une volonté d’équité sur la scène intérieure comme à l’extérieur, portée par le souffle universaliste des manifestations en cours et désireuse de recoller les morceaux avec les Européens afin de pouvoir peser et agir avec nous et non pas seule.

D’Ankara à Pékin, Moscou ou Téhéran, bien des situations pourraient ainsi se modifier dès l’hiver prochain. Grâce à l’inégalable et formidable puissance qu’Américains et Européen constituent ensemble, une nouvelle page pourrait bientôt  s’ouvrir pour le monde mais cette occasion historique, il faut la préparer en rappelant aux Démocrates cinq évidences hors desquelles nous n’arriverons à rien.

La première et que nous comprenons parfaitement bien que les Etats-Unis ne veuillent plus être les gendarmes du monde et n’estiment plus devoir financer notre Défense à notre place. Il n’y a là que logique mais, si l’Amérique veut se retirer d’Europe et du Proche-Orient pour mieux se consacrer au défi chinois, elle ne doit plus faire obstacle à la création d’une Défense européenne et à la transformation de l’Alliance atlantique en une alliance entre deux puissances égales, américaine et européenne. Non seulement la nouvelle Amérique doit se montrer ouverte à cette évolution mais elle doit convaincre les capitales européennes les plus proches de Washington que c’est là le seul moyen d’assurer la pérennité et l’approfondissement des liens transatlantiques.

La deuxième de ces cinq évidences est que nous devons œuvrer ensemble à la stabilisation des relations entre la Fédération de Russie et l’Union européenne car nous avons un intérêt commun à ce que la Chine et la Russie ne fassent pas bloc et à ce que la Russie cesse ses entreprises de déstabilisation en Europe. Etats-Unis compris, Etats-Unis en tête, l’Alliance atlantique doit ainsi proposer à Moscou d’échanger une garantie de non extension de l’Otan jusqu’aux frontières de la Russie contre une garantie de respect des nouvelles frontières européennes, de l’indépendance des Etats issus de l’éclatement soviétique et de leur souveraineté politique.

La troisième évidence à rappeler à la nouvelle Amérique est que les Démocraties ne peuvent pas défendre et promouvoir l’état de Droit et la concertation internationale si elles ne s’obligent pas de leur côté à respecter, dans leurs propres frontières et partout, les traités internationaux, les droits de l’Homme, la Justice internationale et leur propre signature.

La quatrième est que c’est ensemble, avec un langage commun, que nous devons faire comprendre à la Chine que sa renaissance l’oblige à respecter, d’une part, la stabilité de l’Asie, l’autonomie de Hong Kong et l’indépendance de Taïwan et, de l’autre, des normes environnementales, sociales et monétaires garantissant un juste échange.    

Quant à la cinquième évidence à rappeler à la nouvelle Amérique elle est que les Etats-Unis ne peuvent pas se montrer moins désireux que l’Europe de lutter contre le réchauffement climatique et moins prêts qu’elle à imposer cet impératif dans leurs échanges commerciaux.

Cinq évidences, cinq mois, c’est dès aujourd’hui qu’il faut appeler Joe Biden.      

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