C’est à si bas bruit que peut-être ne l’avez-vous pas remarqué. C’est à bas bruit mais pour la première fois depuis que la fureur autour de l’accord de Maastricht avait tant inhibé les europhiles et enhardi les europhobes, pour la première fois, donc, depuis trois décennies, on ne parle plus de « l’Europe » pour la dire impotente et tout occupée à calibrer les concombres mais pour relever qu’elle s’étire, respire et s’affirme.

Le Brexit lui-même n’est plus l’indéniable signe que l’Union se déferait. Le Brexit, on verra bien, dit-on maintenant en déplorant cette rupture dont les Britanniques eux-mêmes ne voudraient aujourd’hui plus mais le Brexit, tant pis, c’est leur faute, et non pas celle des 27 qui, eux…

Alors là, oui, chapeau bas, lit-on et dit-on de tous côtés, car l’Union termine l’année en beauté. Elle semblait piégée par les régimes hongrois et polonais qui bloquaient son budget et son plan de relance pour empêcher que l’octroi des financements communs soit enfin conditionné au respect de l’état de droit. Au moment de faire ce pas tellement essentiel, l’Union allait se prendre les pieds dans le tapis mais non !

Tandis que la France et la Commission menaçaient de faire du plan de relance une coopération renforcée ou un accord interétatique dont Budapest et Varsovie se seraient exclus d’eux-mêmes, Mme Merkel a offert à Viktor Orban et à la droite polonaise le moyen de sauver la face. On leur a formellement assuré, noir sur blanc, que ce nouveau lien entre le respect de l’état de droit et le versement des fonds européens ne pourrait pas servir à leur imposer des choix politiques dont les Etats-membres sont naturellement maîtres. On leur a parallèlement confirmé que tous les Etats et donc eux-mêmes pourraient évidemment en appeler à la Cour de Justice européenne si la formulation de ces dispositions leur paraissait contestable.

On leur a ainsi reconnu des droits dont ils disposaient déjà en vertu des traités mais l’habileté a été de leur permettre de crier victoire et de rendre suspensif l’appel à la Cour de Justice afin que M. Orban puisse aller à ses législatives de 2022 avant que la conditionnalité ne devienne réalité et que la Commission n’ouvre les dossiers de la corruption en Hongrie.

Cela s’appelle un compromis et il est excellent. L’Union n’a pas changé une virgule à ses nouvelles dispositions. Les régimes hongrois et polonais ont évité l’humiliation d’une défaite trop cinglante et, sans crise aucune, sans que rien ne soit bloqué, ni budget ni plan de relance, il est maintenant acté qu’il n’y aura plus de solidarité européenne sans respect de l’état de droit.

Cela suffirait à lancer un « Joyeux Noël ! » aux Européens mais, en 2020, l’Union ne s’est pas contentée de cela. Avec l’adoption de son Green deal et sa décision d’encore plus fortement réduire ses émissions de gaz à effet de serre, l’Union européenne a achevé de s’imposer en locomotive mondiale de la lutte contre le réchauffement climatique. En mettant sur la table, avant que les Américains ne le fassent, une proposition de programme commun transatlantique, elle a confirmé sa volonté, totalement nouvelle, de devenir un acteur de la scène internationale.

En décidant d’emprunter en commun 750 milliards d’euros pour financer un plan de relance commun, elle s’est enfin décidée à briser d’un coup deux lourds tabous inutilement paralysants. En suspendant, sine die, l’application de ses plafonds de déficit budgétaire et d’endettement, elle aura été la première, avant les Etats-Unis bientôt, à tourner le dos aux quarante années de thatchérisme qui, d’Orban à Trump, avaient fait le lit des nouvelles extrêmes-droites. En prenant en main les achats de vaccins au nom des 27, elle aura également ajouté la politique de santé à ses domaines de compétence sans passer par une modification des traités et sans que personne, bien au contraire, ne s’en offusque. En jetant, et ce n’est pas le moins, les bases d’une réglementation du cyberespace obligeant ses grandes plateformes à se conformer aux lois européennes, elle s’est mise à l’avant-garde de l’organisation d’un nouveau monde échappant au droit.

En faisant tout cela en moins d’un an, elle sera entrée, en un mot, dans la troisième phase de l’unité européenne : l’unité politique après le Marché commun et la monnaie unique. Alors oui, en attendant toutes les difficultés de 2021, Joyeux Noël à tous !

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