Ces élections russes ne seront à nulle autre pareilles. Elles n’auront bien sûr rien d’un scrutin démocratique dont les résultats restent toujours incertains. Elles ne se compareront pas non plus aux compétitions faussées des démocratures qui peuvent, comme la Hongrie, museler la presse mais doivent en revanche se soumettre au verdict des urnes. Les élections russes du week-end prochain ne pourront pas non plus se comparer à celles des temps soviétiques qui assuraient à coup sûr le triomphe des pronostiqueurs mais alors quoi ?
Eh bien elles seront ce que M. Poutine et lui seul décidera d’en faire pour limiter ses risques dans une période où toute erreur pourrait lui coûter cher.
Ce n’est pas que tout soit sombre pour lui. Les cours des deux principales ressources de la Russie, pétrole et gaz, s’envolent et viennent élargir sa marge de manœuvre financière. Les lois liberticides contre « l’extrémisme » et les « agents de l’étranger » lui ont permis de faire taire tous les sites et mouvements indépendants qui auraient pu nourrir un débat électoral. Vladimir Poutine a si bien fait table rase de toute contestation que le pays est comme anesthésié et que ce n’est pas cette parodie d’élections parlementaires qui pourrait l’inquiéter alors même que ses caisses se remplissent mais…
Mais il y a plusieurs « mais » de taille.
Le premier est que le pouvoir d’achat des Russes s’est réduit de plus de 10% depuis 2013, que quelque vingt millions d’entre eux vivent désormais au-dessous du seuil de pauvreté, que le prix des denrées alimentaires ne cesse d’augmenter et que l’inflation s’emballe tant que la Banque centrale n’en finit plus d’augmenter les taux d’intérêt.
Les premières victimes de ce recul du niveau de vie sont les retraités, le noyau dur de l’électorat présidentiel, et le deuxième changement de donne est que les moins de 40 ans partagent les valeurs et le mode de vie des jeunes Occidentaux et n’éprouvent pas de nostalgie de l’Empire russe qu’ils n’ont pas plus connu que le communisme. Pour eux, l’Ukraine, le Bélarusse ou la Géorgie sont des pays étrangers sur lesquels ils ne rêvent pas de remettre la main et ils sont donc bien peu sensibles au nationalisme grand-russe dont Vladimir Poutine agite le drapeau depuis sa reconquête de la Tchétchénie.
Longtemps très populaire, ce président a vu fondre sa base électorale car vingt ans, c’est long, trop long. Signe d’un début de fin de règne, moins de 30% de électeurs soutiennent aujourd’hui son parti, Russie unie, alors que 20% d’entre eux lui préfèrent désormais Alexeï Navalny et Vladimir Poutine court ainsi deux dangers ce week-end.
Le premier serait un taux d’abstention valant désaveu massif et dont il sortirait dévalorisé aux yeux des grandes fortunes et de l’appareil de sécurité, ses deux soutiens essentiels. Le problème n’est pas insoluble puisque le Kremlin peut faire annoncer les chiffres qu’il veut mais, à trop gonfler le taux de participation, il risque d’être pris en flagrant délit de mensonge et de nourrir le même genre de rejet qu’Alexandre Loukachenko au Belarus.
Quant au second danger, il serait que beaucoup d’électeurs appliquent l’idée de « vote intelligent » lancée par Alexandre Navalny. Plutôt que de s’abstenir, ils seraient alors nombreux à donner leur voix à tout candidat autre que ceux de Russie Unie qu’il s’agirait de désavouer par tous les moyens. Iabloko, seule vraie force d’opposition autorisée à concourir, pourrait ainsi remporter assez de circonscriptions pour marquer les esprits. Les communistes pourraient également bénéficier de l’idée de Navalny dont la popularité grandit régulièrement. Si c’était bien le cas, les communistes pourraient prendre une autonomie dont ils sont aujourd’hui dénués et Vladimir Poutine aurait, là encore, un pari à faire.
Ou bien il recourt à la fraude afin d’empêcher l’affirmation parlementaire d’opposants qui devraient leur siège à Navalny ou bien il concède un recul de Russie Unie et reconnait des victoires aux autres partis faute de pouvoir totalement nier leur progression. Dans le premier cas, il risque une rupture avec l’ensemble de la population dont les conséquences pourraient devenir sérieuses. Dans le second, il laisse s’ouvrir une dynamique politique nouvelle pouvant conduire les grandes fortunes et l’appareil de sécurité à se chercher un autre champion.
La dictature n’est pas une sinécure. Tout cela devient si aléatoire que Vladimir Poutine ne devrait rien changer à ses habitudes mais c’est habituellement de l’immobilisme que naissent les plus grands changements.