C’est un poison lent, une petite musique qui voudrait nous convaincre que finalement, non, l’aspiration aux libertés ne serait pas universelle. Beaucoup de peuples, entend-on de plus en plus souvent, la majorité d’entre eux sans doute, préféreraient la servitude à la démocratie et le triomphal retour des Taliban en serait la preuve.

Oh bien sûr, on ne dit pas, pas encore, que ce serait une question de race ou de culture, que ce serait par nature que les Russes ou les Africains, les musulmans, les Chinois ou les Afghans, se satisferaient du despotisme mais enfin, pas de fausse pudeur, n’est-ce pas : il y a bien un lien entre le goût de la liberté et la civilisation, la civilisation occidentale, veut-on dire.

Alors attention aux deux dangers qui nous guettent là.

Le premier serait de tomber dans la plus profonde des ignorances car s’il y avait une once de vérité dans cette si fausse certitude, comment comprendre qu’il ait fallu tant de chars pour écraser la Place Tien An Men et ses revendications d’élections libres et de pluripartisme ? Comment expliquer que la démocratie et non pas l’islamisme ait soulevé le monde arabe en 2011 ; que l’Iran n’ait jamais cessé depuis plus d’un siècle, depuis sa révolution constitutionnaliste de 1905, de lutter contre ses despotes ; que l’Afrique toute entière ait rejeté la domination coloniale ; que les Russes aient tant aimé la liberté entrevue durant la perestroïka ; que les Birmans ne se satisfassent pas de leurs généraux ou que Taiwan soit une démocratie tellement exemplaire ?

L’Histoire du monde nous dit bien au contraire que les peuples des cinq continents veulent vivre libres pour la simple et bonne raison que le rêve de tout esclave est de rompre ses chaînes. C’est une évidence absolue et si l’on en arrive à l’oublier aujourd’hui c’est, d’abord, que les Etats-Unis et une large partie des Européens en étaient venus à confondre l’universalité de l’aspiration à la liberté et la possibilité d’exporter la démocratie par avion militaire.

On le conçoit mal aujourd’hui mais, après la chute du mur, les Américains ont vraiment pensé que la disparition des dictatures garantirait une paix éternelle puisque « les démocraties ne se font pas la guerre ». C’est ce qui les motivait mais ils se sont naturellement heurtés au fait qu’une armée étrangère est vite tenue pour responsable de tout ce qui ne va pas dans le pays qu’elle occupe et immédiatement sommée de prendre parti dans des conflits dont elle ne maîtrise pas plus les tenants que les aboutissants. 

Cela fut aussi vrai en Irak qu’en Afghanistan. Le devoir de protéger n’aurait pas dû être théorisée en droit d’ingérence. L’ingérence ne devait pas devenir protectorat. Il ne fallait surtout pas vouloir en mener deux de front et la deuxième raison de l’échec que les Etats-Unis ont connu dans ces deux pays est qu’ils y ont commis des erreurs aussi inimaginables que de démanteler tout l’appareil d’Etat irakien ou de détourner vers Bagdad les hommes et les moyens nécessaires à Kaboul.

Ce bilan est tellement accablant pour les démocraties qu’on préfère aujourd’hui faire bon marché du désespoir des Afghans devant le retour des Taliban et laisser dire en plus qu’ils n’auraient pas été mûrs pour la liberté.

Un tel cynisme est insupportable mais il n’est pas qu’odieux.

Il est également suicidaire car si les démocraties occidentales en venaient à renoncer non seulement au devoir de protéger mais également à la défense de l’universalité des valeurs démocratiques, elles donneraient raison à MM. Poutine, Xi ou Erdogan et renforceraient toutes les dictatures de la terre.

Laissons les despotes massacrer sans craintes, admettons la vieille et ignoble fable des « différentes conceptions de la démocratie », et nous perdrons, nous les démocrates, la plus grande de nos forces : l’exemplarité, l’attractivité, la puissance des libertés que nos combats ont conquises et étendues.

Abandonnons nos valeurs et les démocraties s’effaceront inéluctablement car il ne leur resterait plus qu’une puissance de feu que les dictateurs auront vite égalée.

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