Texte paru dans Gazeta Wyborcza à l’occasion des 75 ans d’Adam Michnik
Vois-tu, Adam, je ne te connaissais pas que je t’aimais déjà. C’était en 68. La Lettre ouverte de Kuron et Modzelewki venait d’éveiller en moi une fascination pour la Pologne et voilà que le pays qu’Hitler et Staline avaient voulu se partager, où le ghetto de Varsovie s’était insurgé avant que le ville entière ne le fasse, ce pays dont l’Armée rouge avait laissé écraser la capitale pour mieux en prendre possession, ce pays qui avait été le premier à imposer, dès 1956, de vraies concessions politiques au Kremlin, que ce pays donc inscrivait ses manifestations étudiantes dans la révolte mondiale de la jeunesse contre l’ordre d’après-guerre, archaïque à l’Ouest et totalitaire à l’Est.
Le Monde dont j’allais devenir, onze ans plus tard, le correspondant à Varsovie parlait d’un jeune Michnik que, déjà, de loin, je regardais comme un frère et nous nous sommes enfin rencontrés, en 76, à Paris. C’est grâce à toi que pour la première fois j’ai alors vu la possibilité d’un postcommunisme et l’Histoire nous a ensuite constamment réunis, dans la jubilation de l’élection de Jean-Paul II, dans la geste de Solidarnosc, dans la pérestroïka et notre amitié commune pour Gorbatchev, dans tous les débats qui ont suivi la chute du mur et dans notre si profond rejet, aujourd’hui, de ces nationaux-conservateurs ressurgis des siècles passés en France, en Russie, en Pologne, en Hongrie, au Brésil ou aux Etats-Unis de Donald Trump.
Nous n’imaginions par leur retour quand la défaite du communisme occupait nos vies matin, midi et soir.
Comme toi, j’en enrage mais, devant cette jeunesse de Pologne tellement européenne, devant la mobilisation de l’opposition hongroise, la défaite de Babis et ce troisième moment de l’Union européenne qui aborde désormais la Défense commune et l’autonomie stratégique, je ne perds pas espoir, aucunement, car je sais que toi et moi verrons la défaite de ces nouveaux ennemis de la liberté et les premiers pas d’une Europe politique – pas mal, pas peu pour une seule vie.
Vois-tu, Adam, l’intense tendresse que j’ai pour toi depuis si longtemps n’est pas liée qu’à ton invention de la « révolution autolimitée » et à l’immense rôle que tu as joué en Pologne et dans toute l’Europe en conséquence. Non, je laisse cela aux colloques et aux livres car, moi, je t’aime pour ce que tu es dans ma vie, mon ami, compagnon d’armes et plus belle expression de notre génération.