On ne sait pas. On ne sait plus si la division de la Chine entre deux Etats que séparent un détroit et des régimes opposés pourra être surmontée sans que ce conflit ne s’internationalise. On ne le sait plus parce que la marine de Xi Jinping approche toujours plus souvent les côtes taïwanaises, que sa chasse viole l’espace aérien de l’île jusqu’à quarante ou cinquante fois par jour et que le Parti communiste chinois ne cesse par-là d’affirmer qu’il serait chez lui à Taïwan.
C’est à tout instant qu’un incident militaire peut se produire et échapper à tout contrôle. La nervosité devient si grande dans le détroit de Formose et en Mer de Chine méridionale que Joe Biden en est venu à rappeler la semaine dernière que la défense de Taïwan constituerait un « engagement » des Etats-Unis au même titre que celle de la Corée du Sud ou du Japon.
La Maison-Blanche a aussitôt précisé que la politique américaine n’avait en fait « pas changé ». Cela signifiait juste que les Etats-Unis continueraient d’assurer à la Chine démocratique les moyens de se défendre sans automatiquement devenir partie prenante à une éventuelle guerre entre les deux Chine mais il n’en reste pas moins que Taïwan peut aujourd’hui devenir le Sarajevo du XXI° siècle et qu’il serait illusoire d’imaginer que l’Union européenne puisse alors rester à l’écart de ce qui deviendrait une bataille mondiale entre dictature et démocratie.
L’Union ne pourrait pas plus rester arme au pied que les Etats-Unis au début de la Seconde guerre mondiale et toute la question est donc pour elle de savoir comment se positionner dans cette crise afin de pouvoir en canaliser les dynamiques.
L’Union aurait pour cela cinq choses à faire.
La première serait de donner acte à Xi Jinping que lorsqu’il dit que Taïwan fait partie de la Chine dont elle est une province, il dit presque vrai puisqu’il n’y eut et n’y aura un jour qu’une seule Chine. De même que les deux Allemagne avaient vocation à s’unifier et que les deux Corée le feront un jour, les deux Chine ne forment qu’un seul et même pays, aujourd’hui divisé mais néanmoins unique, et cela doit être réaffirmé par les 27 pour la simple raison que c’est une évidence que Taïwan se garde d’ailleurs de contester.
L’Union aurait à rappeler ensuite que la légitimité d’un régime ne se mesure pas à la taille du territoire et de la population qu’il contrôle, que Pékin n’a pas plus de titres que Taipeh à prétendre incarner la Chine ; que les 27 Etats de l’Union ont toute raison de se sentir plus proches de Taïwan que de la Chine populaire et que leur solidarité avec les Taïwanais serait pleine et entière face à une tentative de conquête lancée du continent.
L’Union devrait constater, en troisième lieu, que la Chine communiste vient de tuer, à Hong Kong, l’idée d’un pays deux systèmes qui ne peut donc plus fonder une unification des deux Chine.
L’Union devrait, en quatrième lieu, déclarer qu’elle ne considère pas qu’une agression de la Chine continentale contre Taïwan devrait entraîner une entrée en guerre de l’Alliance atlantique contre Pékin ; que les 27 ne participeraient pas à une telle extension du conflit et qu’ils déconseilleraient aux Etats-Unis de le faire car le volume et la sophistication des systèmes d’armements interdit désormais à l’humanité de risquer son anéantissement dans une Troisième guerre mondiale.
Quant à la cinquième chose que l’Union devrait faire, elle est de conduire l’ensemble des Démocraties à avertir la Chine communiste qu’elles interrompraient immédiatement toute relation commerciale avec elle si elle tentait d’envahir Taïwan.
Cette menace serait autrement plus crédible que celle d’une entrée en guerre et aurait toutes les raisons d’être prise au sérieux par M. Xi si les Démocraties occidentales et asiatiques se disaient bien conscientes que Pékin ne serait pas seule à souffrir de cette mesure qui aurait également un coût pour elles-mêmes.
Les Démocraties connaîtraient alors des pénuries, une hausse du chômage et une baisse du niveau de vie mais outre que les conséquences de ce boycott de la Chine communiste seraient autrement plus graves pour le régime de Pékin, elles seraient infiniment moins douloureuses que celles d’un embrasement général.
A la seule condition qu’elle le veuille, l’Union peut peser dans cette crise et le pourrait dans beaucoup d’autres aussi.
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