Les Occidentaux se trompent. Diplomates et journalistes en tête, la plupart d’entre eux donnent tort à Emmanuel Macron de penser que l’Union européenne pourrait s’affirmer en acteur de la scène internationale et raison à Vladimir Poutine de si peu croire en l’Union que ce n’est pas avec elle mais avec les Etats-Unis qu’il a engagé son bras-de-fer ukrainien.

Divisée comme jamais, entend-on sur les deux rives de l’Atlantique, l’Europe n’existe plus et la preuve en est qu’elle n’a pas voix au chapitre sur son propre destin mais ces deux assertions, pardon, désolé, sont également fausses car l’Europe, au contraire, n’a jamais été moins divisée qu’aujourd’hui.

Divisée, l’Europe l’était par la Guerre froide mais « l’autre Europe », centrale et orientale, fait maintenant partie de la même Union et de la même alliance militaire que ce qu’on appelait autrefois l’Europe occidentale. Divisée, l’Europe le fut également par la volonté de la France de manifester l’indépendance de sa diplomatie. Il y avait alors la France et le reste du monde libre mais, le communisme défait, on a vu l’Allemagne et la France faire front contre l’aventure irakienne de Georges Bush et exprimer par-là l’écrasante majorité des opinions publiques européennes.

C’est dès 2003 qu’au-delà des gouvernements du moment, une opinion européenne s’est clairement fait entendre et l’annexion de la Crimée, le Brexit, Donald Trump et la Covid-19 ont spectaculairement resserré depuis les rangs européens.

Hier, la France était seule ou presque à plaider pour une Défense européenne, des politiques industrielles communes et des investissements communs financés par des emprunts communs mais tous ces tabous sont aujourd’hui tombés. Même la Pologne et les Pays baltes ne misent plus leur sécurité sur les seuls Etats-Unis. L’Allemagne et les Pays-Bas, les deux plus intransigeants des gardiens de l’orthodoxie budgétaire, se sont ouverts à un assouplissement du Pacte de stabilité. La nouvelle coalition au pouvoir à Berlin entend faire de l’Union une puissance fédérale et ce qui s’esquissait depuis plusieurs années n’est ainsi plus discutable.

L’Union est entrée dans le troisième moment de son Histoire, celui de la construction d’une union politique, et ce n’est pas parce que tout reste à faire et que les conflits seront nombreux sur la manière d’y parvenir qu’il faudrait paraphraser Staline en demandant : « L’Europe ? Combien de divisions ? ».

La question est dépassée car cette Défense commune que l’Union entreprend de se constituer n’additionnera pas des armées nationales mais se dotera des armes du futur, spatiales et informatiques, et s’appuiera sur une politique étrangère commune découlant des réalités de ce siècle. De Lisbonne à Varsovie et de Copenhague à Rome, l’éloignement des Etats-Unis, le désir du Kremlin d’effacer les années 90, les ambitions planétaires de la Chine et les chaos de l’Afrique et du Proche-Orient sont tout aussi menaçants pour chacun des 27 car tout ce qui menace la stabilité et la sécurité de l’Union menace chacun de ses membres.

C’est entre ces quatre contraintes que s’articulera toujours plus la diplomatie de l’Union et c’est si vrai que la dégradation de la situation sahélienne n’inquiète plus seulement la France mais l’ensemble de l’Union, que l’Allemagne ne voit plus seulement la Chine comme le grand marché de son industrie automobile et que le nucléaire civil divise plus Paris et Berlin que la conduite à tenir vis-à-vis du président russe. « L’Europe n’existe plus », entend-on partout mais on oublie que c’est durant la Guerre froide qu’elle n’existait pas, que le manque que l’on ressent aujourd’hui tient au besoin toujours croissant d’une Europe forte et que ce n’est pas parce que Vladimir Poutine voudrait tant ignorer l’unité européenne qu’elle n’existerait pas. L’union politique nait, sous nos yeux, et c’est cette naissance qu’Emmanuel Macron tentera d’accélérer pendant sa présidence tournante de l’Union.

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