L’Afrique, d’abord l’Afrique. C’est lorsqu’Emmanuel Macron en a si longuement parlé, la semaine dernière, devant le Parlement européen qu’il est le plus clairement apparu que l’urgence était de développer une vision de l’Union à dix ou quinze ans et non pas seulement le programme d’une présidence semestrielle.
Dans son propos, l’Afrique était essentielle car si elle ne parvenait pas à troquer les guerres et les déchirements contre un développement assurant l’emploi de sa population, elle plongera dans les famines et le sang par régions entières. Si l’Afrique ne met pas fin à son malheur alors même que le réchauffement climatique la menace tant, la fuite vers le Nord deviendra la seule option et les vagues migratoires qui s’ensuivront auront vite effacé jusqu’au souvenir de 2015.
Le codéveloppement de l’Europe et de l’Afrique s’impose donc d’autant plus que le sauvetage de la planète exige une réduction drastique des temps de transports commerciaux, que l’Europe est évidemment plus proche de l’Afrique que de l’Asie et que nous avons besoin, nous les Européens, de trouver de nouvelles zones de production à bas coût pour échapper à l’étau politique de Pékin.
La partie demandera au moins une décennie mais si nous échouions à aider l’Afrique à passer ce col, tout le reste serait vain. Autonomie stratégique, force militaire, constitution de géants communs des industries de demain, rien de tout cela ne compterait plus guère tant l’incendie africain aurait tôt fait de nous gagner, nous affaiblirait gravement et nous laisserait plus dépendants que jamais de la Chine.
Alors, oui, s’il ne fallait retenir qu’une chose de ce discours, ce serait son moment africain car, d’un siècle à l’autre, l’unité européenne a changé d’objet.
Au XX° siècle, les Communautés puis l’Union étaient une utopie, la plus belle et la plus nécessaire des utopies pacifistes après un millénaire de guerres civiles et Auschwitz mais une utopie choisie alors qu’elle relève, aujourd’hui, d’une obligation existentielle.
L’éloignement des Etats-Unis et l’aléa qu’est devenu leur parapluie nucléaire, les nostalgies impériales de M. Poutine, les chaos des autres rives de la Méditerranée, l’ampleur des défis industriels à relever et la volonté de la Chine de projeter sa force sur les cinq continents – tout nous oblige désormais à serrer nos rangs et l’unité ne se réduit plus au rêve humaniste que les années 50 chantaient sur l’air de « Si tous les gars du monde se donnaient la main ».
Au XXI° siècle, notre unité est le seul moyen de nous affirmer en puissance politique, de continuer à nous faire entendre, de ne pas dépendre de technologies étrangères et de ne pas devenir terres de protectorats américain, russe ou chinois. C’est pour cela que l’Afrique tenait une telle place dans ce discours d’inauguration de la présidence française mais qu’a dit Emmanuel Macron de la crise du moment, celle qui monte aux frontières de l’Ukraine ?
Contrairement aux Américains ou aux Britanniques, il n’a pas donné dans la prédiction. Il s’est bien gardé d’annoncer ce que ferait Vladimir Poutine alors qu’il n’est nullement certain que lui-même le sache. Il s’est également abstenu de dire ce que devraient être les réactions européennes à ce qu’on ne sait pas ce que le président russe fera mais a dit, en revanche, ce à quoi l’Union devait travailler pour éviter une complète déstabilisation du continent européen.
Rappelant le précédant des Accords d’Helsinki, il a appelé l’Union à définir une nouvelle architecture de sécurité européenne à proposer à la Russie en concertation avec les Etats-Unis.
Là non plus, ça ne se fera pas du jour au lendemain. Il y faudra, là aussi, de longues années et, dans l’immédiat, il faut que Vladimir Poutine soit clairement informé des sanctions que les Etats-Unis et l’Union prendraient s’il s’aventurait à envahir tout ou partie de l’Ukraine. Il faut, dans l’immédiat, placer la barre assez haut pour que ces sanctions soient dissuasives ou fassent mal. C’est en cours mais, détérioration de la situation ou pas, il faudra bien aussi que l’Union européenne et la Fédération de Russie, les deux piliers du continent, parviennent un jour à définir les conditions de leur coexistence puis de leur coopération.
Quoi que fasse maintenant M. Poutine, il faut autrement dit préparer les temps qui viendront lorsque la Russie aura dû préférer le dialogue à la force et qu’il faudra rattraper, sans plus tarder, le temps perdu. A court ou moyen terme, ce moment viendra, forcément, car il en va de l’intérêt commun de l’Union et de la Fédération et la semaine dernière, entre les lignes, on entendait Emmanuel Macron esquisser la stabilisation d’un continent unissant ses forces dans le codéveloppement de la rive africaine de la Méditerranée, du lac intérieur de l’EurAfrique.
Les esprits forts diront qu’on en est loin. Ils n’auront pas tort mais la politique, la vraie, est affaire de long terme puisqu’il faut savoir où l’on veut aller pour arriver à destination et que la lumière n’est pas au milieu du tunnel mais au bout.