Les plus grandes leçons de cette crise restent à venir. Elles dépendront des choix que fera maintenant le président russe mais ce bras-de-fer ukrainien est déjà venu corriger quatre idées reçues.

La première est que les besoins énergétiques de l’Union européenne la rendraient aussi dépendante de la Russie qu’un drogué de son dealer. C’était une crainte solidement ancrée. C’est elle qui avait conduit les Pays baltes, la Pologne et les Etats-Unis à constamment mettre en garde les Allemands contre les contrats qu’ils passaient avec Gazprom mais que se passe-t-il aujourd’hui ?

Eh bien après avoir beaucoup hésité à la perspective d’un hiver sans chauffage, l’Allemagne a fini par accepter la possibilité qu’une entrée des troupes russes en Ukraine empêche la mise en service du nouveau gazoduc Nord Stream 2. L’Allemagne est finalement prête à tourner le dos aux fournitures russes parce qu’elle a réalisé, comme tous ses partenaires de l’Union, que les réserves européennes permettaient de tenir jusqu’au printemps ; qu’il y avait d’autres fournisseurs sur terre que la Russie ; que la Norvège ne marchanderait pas son aide ; que le coût de l’acheminement du Qatar, des Etats-Unis ou de l’Algérie serait, au bout du compte, beaucoup moins élevé que celui d’une guerre et que la Russie, surtout, ne pouvait pas se servir de son gaz aussi facilement que d’une colonne de chars.

Non seulement l’économie russe ne peut pas se passer de ses exportations énergiques, non seulement un fournisseur ne peut pas mettre en doute ses engagements contractuels sans risquer de faire fuir ses clients mais, si la Russie n’avait plus que la Chine à laquelle vendre son gaz, elle se mettrait dans la main d’un puissance immensément plus riche qu’elle et dix fois plus peuplée.

Ce ne serait pas le meilleur des choix et la deuxième idée démentie par cette crise est celle de la désunion politique des 27. Cette idée est tellement reçue que rares sont les analystes à ne pas avoir considéré que la centralisation du pouvoir russe constituait l’atout majeur du Kremlin face à la multiplicité des centres de décision européens. Cela ne semblait pas discutable car les intérêts, la géographie et l’histoire des Etats membres de l’Union sont effectivement divers mais, face à la concentration de troupes russes à la frontière de l’Ukraine, les capitales européennes ont encore plus nettement resserré leurs rangs qu’elles ne l’avaient fait, l’année dernière, face au durcissement chinois.

De Vilnius à Lisbonne, de Copenhague à Rome, les 27 ont maintenant compris qu’ils ne pouvaient relever qu’ensemble les défis de l’éloignement des Etats-Unis, des chaos des mondes musulmans et des soubresauts de l’éclatement soviétique. A défaut d’avoir déjà pu se doter d’une Défense commune, ils ont intégré la nécessité de leur unité politique qui s’impose désormais à eux comme un traité qui reste pourtant à adopter. C’est une nouvelle réalité de la scène internationale. Il serait temps de ne plus la sous-estimer et la troisième erreur corrigée par cette crise est l’annonce de la mort politique de Joe Biden.

On le disait politiquement enterré par ses échecs au Congrès et l’inflation des prix à la consommation mais, face au Kremlin, ce président formé par la Guerre froide retrouve la combativité de sa jeunesse et ne recule pas d’un pouce. Non seulement les manœuvres russes ramènent les Etats-Unis en Europe et reconstituent un front atlantique mais elles ont remis en scène le président américain dans un rôle que les Républicains ne peuvent pas lui reprocher d’endosser.

Inattendu, ce retournement de situation donne à voir une quatrième erreur. Regardez la Chine, disait-on. Regardez l’audace avec laquelle la Russie fait usage de ses armes. Les démocraties sont en crise, martelait-on, et la négation des Lumières en pleine ascension. La décadence est atlantique et l’efficacité orientale, ajoutait-on sur un tel ton d’évidence que l’idée de la fin de la primauté occidentale n’était plus guère contestée. C’était l’air du temps mais cette si banale certitude parait aujourd’hui sérieusement ébranlée par l’isolement de la Chine et le changement de donne introduit par la crise ukrainienne.

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