La première chose à vous dire, M. le Président, est que je réagirais comme vous. Si la Confédération helvétique, aux frontières de la France et de trois autres pays de l’Union européenne, décidait d’entrer dans une alliance militaire dominée par la Russie, je m’en inquiéterais et souhaiterais que, souveraineté de la Confédération ou pas, nos gouvernements ne réagissent pas qu’en mots.
On peut, autrement dit, comprendre que vous fassiez pression sur l’Alliance atlantique pour qu’elle n’ouvre ses portes ni à l’Ukraine, ni à la Géorgie, ni à aucun nouveau pays sorti de l’URSS, mais vous devez admettre, de votre côté, que ces pays indépendants depuis trois décennies n’entendent pas devenir des protectorats russes.
Ils veulent rester libres. Ils veulent l’être plus qu’ils n’ont réussi à l’être jusqu’ici et l’annexion de la Crimée comme les troubles organisés dans le Donbass, vos permanentes manœuvres d’intimidation comme la négation de l’identité ukrainienne, tout dans vos agissements et votre manière de vous exprimer concourt, en un mot, à entretenir à vos frontières une peur de la Russie.
Les pays menacés, ce sont ces pays de l’entre-deux. Ce n’est pas la Russie. Contrairement à la Russie, l’Alliance atlantique n’a procédé à aucune annexion territoriale et si vous ne voulez pas qu’elle s’élargisse jusqu’à vos frontières, c’est à vous de donner à vos voisins et notamment à l’Ukraine des garanties de non-agression et de non-ingérence assez solides pour qu’ils puissent y croire et que les 27 pays membres de l’Union le puissent également.
C’est à vous, M. Poutine, d’avancer les idées et propositions à même de rassurer les pays dont vous donnez tant l’impression de nier l’indépendance. C’est de vous, avant tout de vous, que dépend la possibilité d’une nouvelle architecture de sécurité européenne et, deuxième chose à vous dire, si vous refusiez d’en jeter les bases, si vous alliez, plus grave encore, jusqu’à annexer ou envahir de nouvelles régions ukrainiennes, ce n’est pas seulement aux sanctions économiques européennes et américaines que vous devriez faire face.
C’est également à un tête-à-tête avec la Chine, avec cette nouvelle superpuissance dont les commerçants ont déjà entrepris, depuis le début de ce siècle, de grignoter votre immense Sibérie, celle que vous ne parvenez pas à peupler et dont le réchauffement climatique aura bientôt fait un eldorado.
Si vous voulez risquer d’enfermer la Russie dans une alliance avec la Chine, libre à vous d’oublier que l’Histoire, les intérêts et la culture du peuple russe font de lui l’une des grandes nations de l’Europe, mais avez-vous bien réfléchi aux conséquences d’un tel choix ? Vous êtes-vous dit que les classes moyennes russes, l’atout de votre pays, n’en voudraient pas plus que vos oligarques et que l’armée et le FSB s’interrogeraient forcément sur le rapport des forces entre la puissance pauvre qu’est la Russie et ce nouvel allié, la deuxième économie mondiale, dont elle se serait faite si dépendante ?
Et puis une troisième chose, M. Poutine. Peut-être vous dites-vous qu’en devant faire appel à vous pour rétablir l’ordre dans tant de leurs villes, les dirigeants kazakhs se sont mis entre vos mains. Ce n’est pas faux. Comme au dirigeant bélarusse, il leur sera maintenant beaucoup plus difficile de faire du pied aux Occidentaux, aux Turcs ou aux Chinois pour se soustraire à vos pressions.
Peut-être même vous dites-vous que l’empire russe se reconstitue plus vite que vous ne l’auriez jamais espéré. C’est d’ailleurs ce que pensent beaucoup d’analystes occidentaux qui, eux, s’en effraient mais attention, M. Poutine !
Il est une autre façon de lire ce qui se passe au Kazakhstan. Là-bas, dans le plus grand des pays d’Asie centrale, la réplique du modèle politique que vous avez développé en Russie a été à deux doigts d’être renversée par un soulèvement populaire qui aurait triomphé sans intervention militaire. Ni vous, ni vos services, ni les dirigeants kazakhs, ni personne n’avait vu cela venir et il y a deux conclusions à en tirer.
La première est que cela pourrait tout aussi bien se produire en Russie où votre popularité ne cesse de reculer tandis que le niveau de vie baisse. La seconde est que le Kazakhstan n’est que le dernier en date des pays de ce que vous appelez votre « étranger proche » à entrer en révolte contre la corruption et l’absence de libertés. L’Ukraine l’a fait, bien sûr, mais aussi le Belarus, la Géorgie, la Moldavie, la Kirghizie et l’Arménie tandis que l’Azerbaïdjan s’est rapproché de la Turquie qui fournit également des armes à l’Ukraine.
Vous avez repris le contrôle en Arménie, au Belarus et peut-être, on verra, au Kazakhstan, mais l’Ukraine s’est éloignée de vous, la Géorgie va d’une crise à l’autre, la Moldavie entend bien s’arrimer à l’Union et il n’y a ainsi plus une seule partie de l’ancienne URSS qui ne soit devenue incertaine et où vous ne développiez une russophobie. Loin de se reconstituer, l’empire dont vous rêvez se délite toujours plus et, vingt ans après votre arrivée au pouvoir, le septuagénaire que vous serez bientôt n’exerce plus autant de charme sur la Russie que le jeune vengeur tout en muscles que vous avez été un temps.
Alors un conseil, M. Poutine : cessez d’ambitionner une revanche dont vous n’avez pas les moyens. Avant que vous n’ayez cessé de faire peur, préférez l’Europe à l’Asie, rassurez les autres pays européens, proposez des mesures de confiance à vos voisins et trouvez les compromis nécessaires à la stabilité et à la prospérité de l’Europe, notre maison commune.