Ce sera l’année du grand choix, celui qui définira ce siècle. Oui, ce sera bien en 2022 que la Russie finira par opter entre les deux possibilités stratégiques qui s’offrent à elle, celle de s’allier à la Chine contre les puissances occidentales ou de se rapprocher, au contraire, de l’Union européenne et des Etats-Unis en isolant un trop ambitieux voisin avec lequel un tête-à-tête présenterait trop de risques.

D’un côté, on irait à un bras-de-fer entre les Démocraties et les deux plus puissantes dictatures du monde. Ce pourrait être les prémisses d’un embrasement général mais dans l’autre hypothèse, l’isolement du régime chinois pourrait contribuer à réduire son agressivité. Alors ce choix, bien sûr, ne deviendra pas d’un coup certitude. Il lui faudra, pour cela, non pas une mais plusieurs années mais décembre 2021 ne s’était pas achevé que les grandes manœuvres commençaient, militaires puis politiques.

Les mouvements de troupes russes à la frontière ukrainienne n’en finissent d’abord plus de durer. Le message est clair. La Russie se considère toujours comme chez elle dans son ancien empire et, plus les jours passent, plus cette menace d’invasion de l’Ukraine démontre aussi que, dépourvus d’armée, les Européens ne seraient pas en situation de contrer une avancée de la Russie et que les Américains n’envisagent pas un instant de le faire car leurs priorités sont désormais en Asie.

Face à Vladimir Poutine, l’Ukraine est seule et, démonstration faite, la Russie pose ses exigences comme on jette un défi. Il nous faut, déclare son président, des « garanties juridiques » américaines propres à exclure toute avancée de l’Otan jusqu’à nos frontières et donc toute possibilité d’entrée de l’Ukraine dans l’Alliance atlantique.

Etrangement, Vladimir Poutine exige là une chose que Joe Biden ne peut pas lui accorder puisque les Etats-Unis ne peuvent pas prendre seuls une décision engageant les 29 autres pays de l’Alliance atlantique et encore moins retirer la candidature ukrainienne en lieu et place de l’Ukraine. Plus étonnant encore, il y a déjà longtemps que la France et l’Allemagne ont fait comprendre qu’elles opposeraient leur veto à une entrée de l’Ukraine dans l’Alliance et le président russe voudrait ainsi arracher aux Américains une garantie que les deux puissances européennes lui ont déjà donnée.

On est en pleine confusion diplomatique mais les choses, pourtant, s’accélèrent. Joe Biden souhaite publiquement que les « préoccupations de sécurité » de la Russie soient examinées par l’Alliance atlantique. C’est un geste fort. C’est un succès marquant pour le président russe qui obtient, de surcroît, le soutien de la Chine et la remercie en annonçant sa venue aux Jeux Olympiques auxquels les dirigeants Américains, eux, ne se montreront pas. Tout va si bien pour Vladimir Poutine qu’il met sur la table deux projets de traités, l’un avec l’Alliance atlantique, l’autre avec les Etats-Unis, deux documents dont il semble dire que les Occidentaux n’auraient plus qu’à les signer sous peine d’invasion de l’Ukraine.

D’un coup de théâtre à l’autre tout va si vite et si densément que le monde ne perçoit pas vraiment l’importance de la partie en cours. Entre l’approche des fêtes et le redémarrage de la pandémie, on entend à peine les Américains dire qu’ils ne décideront de rien sans leurs alliés européens et feront des contre-propositions aux Russes avant Noël mais tentons de résumer l’intrigue, en trois points.

Ce que Vladimir Poutine a exigé des Etats-Unis est qu’ils reconnaissent l’existence d’une zone d’influence de la Russie dans les frontières de son ancien empire. Xi Jinping a aussitôt soutenu cette revendication dans l’espoir de sceller une alliance avec la Russie pour mieux faire face aux Occidentaux. Quant à Joe Biden, en faisant état des « préoccupations de sécurité » russes, il a ouvert la voie à des négociations entre les Occidentaux et la Russie sur les conditions d’une stabilisation du continent européen.

Or ces négociations, tout y pousse à la fois les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne et les Etats de la zone grise, ceux qui sont sortis de l’URSS mais n’ont pas plus rejoint l’Alliance atlantique que l’Union.

Les Etats-Unis ont tout intérêt à réduire les risques de conflit sur le théâtre européen parce qu’ils ne veulent ni avoir à se décrédibiliser en laissant la Russie envahir l’Ukraine ni devoir mener un jour deux guerres en même temps, contre la Russie en Europe et contre la Chine dans le détroit de Taïwan.

Pour ce qui est de Vladimir Poutine, deux décennies après son arrivée au pouvoir, il préfère tenter de garder la main sur la zone grise en obtenant des assurances occidentales qu’en allant à une intervention militaire qui creuserait ses déficits et ferait encore reculer sa popularité tant les Russes ont plus envie de prospérité que de reconquêtes.

Les 27 Européens ne veulent, eux, bien sûr pas d’une guerre avec la Russie qui les condamnerait à appeler les Etats-Unis à la rescousse sans même être sûrs de la réponse ou à prendre acte, armes au pied et toute honte bue, d’une reconstitution de l’empire russe par la force.

Quant à l’Ukraine et à l’ensemble de la zone grise, elles savent d’expérience que la Russie peut violer leurs frontières et les amputer de parties entières de leurs territoires sans que les Occidentaux ne déplacent un seul char. Ni les Etats-Unis ni les Européens ne sont prêts à mourir pour défendre ces pays et, au-delà des rodomontades, leur sécurité ne peut donc dépendre que d’un compromis entre les Occidentaux et la Russie.

Non seulement les quatre parties en présence ont intérêt à des pourparlers mais chacune d’entre elles sait que les trois autres le savent. Il n’y a pas de situation plus favorable à l’ouverture et au succès d’une négociation mais la difficulté est que Vladimir Poutine a mis la barre trop haut avec ses exigences irrecevables et que les « préoccupations de sécurité », surtout, ne sont pas que russes.

On peut admettre que la Russie ne veuille pas que l’Alliance atlantique campe à ses frontières puisque les Européens ne voudraient pas non plus que la Confédération helvétique par exemple, en plein cœur de l’Union, entre dans une alliance militaire dominée par la Chine ou la Russie. M. Poutine a pour lui sa raison d’Etat mais le fait est que les annexions territoriales ne sont pas occidentales mais russes ; que les troupes massées à la frontière ukrainienne sont russes et non pas européennes ou américaines et que si l’Ukraine est la frontière occidentale de la Russie, elle est également la frontière orientale de l’Union.

Ce sont la zone grise et l’Union européenne qui sont menacées, pas la Russie, et même en admettant qu’un accord se fasse sur le principe d’une neutralité des pays de l’entre-deux, quelles garanties de non-ingérence le Kremlin pourrait-il alors donner à Kiev et Tbilissi ?

C’est à M. Poutine de le dire mais il sera aussi difficile de le croire sur parole qu’il lui sera difficile à lui de complètement relâcher sa pression militaire tant qu’il n’aura pas obtenu les « garanties juridiques » qu’il a exigées des Etats-Unis. Alors oui, tout conduit à des négociations qui devraient désormais s’ouvrir très prochainement mais rien ne garantit qu’elles aboutissent. Un échec reste possible. Une guerre et une alliance sino-russe aussi et on ne les évitera qu’en se hâtant lentement d’enfermer les Occidentaux et la Russie dans un long dialogue dont le succès finirait par devenir incontournable pour la simple raison qu’il l’est.

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