La Russie n’a plus d’alliés. Il lui reste, bien sûr, la Syrie, le Nicaragua, le Belarusse, Cuba, l’Erythrée et la Corée du Nord qui, comme elle, ont tenté d’empêcher le président ukrainien de s’adresser à l’Assemblée générale de l’Onu par écran interposé mais la Chine ? Mais l’Inde ? Mais la Turquie ? Mais le Kazakhstan et les autres Etats d’Asie centrale ?
Il s’était beaucoup dit que ces pays, plus de 40% de la population mondiale, allaient faire bloc avec Moscou lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shangaï. La semaine dernière, à Samarcande, ce devait être le retour à la Guerre froide, aux deux blocs et au non-alignés. Revers militaires ou pas, disait-on, Vladimir Poutine était toujours loin d’avoir perdu mais il a lui-même démenti ses admirateurs en déclarant d’emblée qu’il était prêt à répondre aux « questions et inquiétudes » chinoises sur la Guerre d’Ukraine.
Inquiétudes, il y a donc à Beijing et il faut croire qu’elles sont partagées par Ankara et New Delhi puisque Recep Erdogan a appelé le président russe à mettre terme à cette guerre « au plus vite et par voie diplomatique » tandis que Narendra Modi affirmait, lui, que « l’heure n’était pas à la guerre ». Comme un collégien bagarreur, c’est en conseil de discipline que le petit Vladimir est passé à Samarcande et cela s’explique aisément.
Xi Jinping, d’abord, aurait pu trouver avantage à une rapide victoire de son ami russe en Ukraine. Le monde aurait vu là que l’Europe et les Etats-Unis n’étaient plus que des puissances décadentes dont la Chine ascendante allait prendre le relais dans ce nouveau siècle. Cette démonstration faite, M. Xi aurait pu contraindre Taïwan à choisir entre une soumission volontaire et une guerre perdue d’avance. Pour un homme qui ambitionne de devenir président à vie mais dont les difficultés intérieures sont croissantes, la défaite de l’Ukraine constituait un horizon radieux mais la résistance victorieuse des Ukrainiens est, elle, une catastrophe.
Elle montre qu’avec l’appui des Démocraties, des pays comme Taïwan et l’Ukraine peuvent résister à la Chine et à la Russie et plus durera cette guerre, surtout, plus se ralentiront les échanges internationaux. Or c’est grâce à leur essor que la Chine s’est réinscrite depuis trente ans sur la carte du monde. Un jour peut-être pourra-t-elle s’en passer grâce à son marché intérieur et aux échanges intra-asiatiques. M. Xi y compte bien mais aujourd’hui, non, la Chine ne le pourrait pas encore et l’échec ukrainien de Vladimir Poutine a donc commencé d’assez l’inquiéter pour qu’elle l’ait fait savoir à Moscou.
Devant le succès de la contre-offensive ukrainienne, M. Erdogan en vient à se dire, lui, que Vladimir Poutine perd bien trop de poids sur la scène internationale pour que la Turquie puisse encore jouer le Kremlin contre l’Alliance atlantique et vice-versa.
La Russie doit se sortir du bourbier dans lequel elle s’est mise en Ukraine ou perdre toute valeur pour la Turquie. Quant à M. Modi, il a toutes les raisons de ne pas souhaiter que la Russie s’affaiblisse toujours plus dans cette aventure car c’est elle qui fournit l’Inde en armements et en pétrole et lui permet tout à la fois de tenir les Etats-Unis à distance et de faire face à ses deux ennemis historiques : la Chine et le Pakistan.
L’Inde ne veut plus voir la Russie s’enfoncer dans ce bourbier et la priver bientôt d’appuis qu’il lui faudrait alors chercher ailleurs. C’est si clair que la France et d’autres pays de l’Union sont déjà sur les rangs. La Russie est en risque de perdre l’Inde en perdant sa confiance et, plus grave encore pour elle, l’Asie centrale en vient à se dire que la guerre d’Ukraine lui offre une occasion inespérée d’échapper à l’influence du Kremlin.
Les Azerbaïdjanais ont été les premiers à le comprendre. C’est pour cela qu’ils ont relancé leurs frappes contre l’Arménie à laquelle ils ont ainsi montré que la protection russe ne valait plus grand chose. L’Ouzbékistan et le Kazakhstan font désormais du pied à l’Union européenne. Sans demander l’avis de Moscou, le Kirghizistan et le Tadjikistan ont, eux, repris les armes pour tenter de régler leurs différends frontaliers.
C’est comme si l’Asie centrale choisissait la liberté et c’est maintenant à l’Est comme à l’Ouest de l’ancien Empire que se mesure l’abîme dans lequel Vladimir Poutine a plongé la Russie.
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